"Ils l'ont abattu", lâche l'agriculteur, la voix émue. "Je veux protéger mon village natal et toute ma famille", dit-il.
Son ressentiment est partagé par beaucoup, dans le sud de l'Etat de Kaduna, théâtre d'une lutte acharnée pour l'accès à la terre.
Depuis quelques mois, des centaines de personnes ont été tuées dans cette région, qui a plongé dans une spirale d'attaques et de représailles entre éleveurs peuls musulmans (appelés également fulanis) et agriculteurs chrétiens.
Le 19 février, à la tombée de la nuit, des hommes armés ont mené un raid sanglant sur le village de Bakin Kogi, brûlant des maisons et s'emparant des quelques richesses de ses habitants: matelas, téléviseurs, nourriture...
Le frère aîné de Dalami Tukura fait partie des sept personnes qui ont perdu la vie cette nuit-là. Au total, 26 personnes ont été tuées en 48 heures lors d'attaques similaires dans les villages alentour.
Le dernier acte de ce conflit séculaire pour l'appropriation des terres a fait au moins 200 morts depuis octobre 2016, selon les estimations les plus prudentes, et a perturbé la production de nourriture dans cette région fertile et agricole.
Violences et couvre-feu
En l'absence de stratégie nationale, l'engrenage de la haine entre bergers nomades et agriculteurs a pris des proportions sidérantes.
La réponse militaire musclée, ainsi que les commentaires incendiaires de certains politiciens et dignitaires religieux n'ont fait qu'attiser les tensions, estiment les spécialistes.
"Avec Boko Haram (groupe djihadiste actif dans le nord-est du Nigeria), c'est beaucoup plus clair, vous connaissez l'ennemi", analyse Sola Tayo, chercheuse associée à Chatham House, un groupe de réflexion basé à Londres. Mais dans le contexte nigérian, "le fait (que le conflit pour la terre soit) manipulé par autant d'acteurs différents (religieux et ethniques notamment), cela alimente la violence."
La région ressemble à un terrain de guerre. La ville de Kafanchan, épicentre des violences, enchaîne les couvre-feu depuis octobre. Dans le village de Bakin Kogi, la plupart des femmes et des enfants sont partis, et militaires et policiers ont au contraire été déployés.
Au milieu des épaves de maisons calcinées, s'échappe une surprenante odeur de miel épicé au gingembre: c'est l'une des cultures de base de la région et les sacs contenant les dernières récoltes n'ont pas été épargnés par les flammes.
Des miliciens en armes se rassemblent à l'ombre des manguiers, tandis que d'autres patrouillent à moto sur les routes poussiéreuses de Bakin Kogi. Ils ont l'air inquiets, mais aussi résolus. Le bruit court qu'une autre attaque se prépare...
Echec global
Le président nigérian Muhammadu Buhari - un musulman d'origine peule - est très critiqué pour son silence autour de ce conflit. Il s'est finalement exprimé en décembre après une énième attaque.
Quant au gouverneur de l'Etat de Kaduna, Nasir El-Rufai, il a répondu par un déploiement massif d'hommes en armes et par une surveillance aérienne quotidienne dans la zone.
Parallèlement, dans le sud du Nigeria, majoritairement chrétien, de nombreux pasteurs et politiciens appellent les agriculteurs à se défendre eux-mêmes face aux "éleveurs déchaînés".
"Ni le gouvernement de Kaduna ni le gouvernement fédéral -largement composé de peuls- ne sont perçus comme des arbitres impartiaux", estime le commentateur politique nigérian Chris Ngwodo. "Il est plus exact de voir ce conflit comme une composante d'une crise plus large liée à l'échec de l'État et à la rupture de l'ordre public."
Les dirigeants peuls accusent, eux, les agriculteurs d'hypocrisie, pointant régulièrement les attaques menées contre les bergers et leur précieux bétail.
"Il n'est pas dans notre nature d'attaquer", affirme à l'AFP Ibrahim Abdullahi, de l'Association nigériane des éleveurs de bétail de Miyetti Allah (MACBAN).
"Un homme fulani suit le 'Fulaku'", assure-t-il, en référence à un ancien code moral qui met l'accent sur l'honnêteté, l'humilité et l'honneur de la famille. "Mais nous ferons ce qui est nécessaire pour protéger nos vies et notre patrimoine".
Le conflit, souvent décrit à tort comme étant religieux, puise ses racines dans des rivalités ethniques et pastorales ancestrales. Pour Ibrahim Abdullahi, son vrai moteur vient de la croissance démographique du Nigeria, l'une des plus rapides du monde selon l'ONU.
L'accaparement des terres gêne de plus en plus les routes de pâturage traditionnelles. Une des solutions avancées serait de sédentariser les bergers, en introduisant des techniques d'élevage modernes. Mais les millions d'éleveurs fulani qui traversent les pays sahéliens continuent de revendiquer une vie nomade.
La mise en place d'une véritable politique nationale semble aujourd'hui indispensable pour faire face à la pénurie de ressources.
"A moins de trouver une solution permanente à l'élevage nomade, les conflits entre agriculteurs et nomades s'intensifieront", prédit Moses Ochonu, professeur d'histoire africaine à l'Université Vanderbilt aux États-Unis. "Il est peut-être temps de repenser tout le paradigme de l'élevage."
Avec AFP