Populaire chez les étudiants comme parmi les ouvriers, ce sandwich des rues a été honoré samedi par un festival qui a réunit, pour la deuxième année consécutive, des centaines d'amateurs voraces au coeur de Soweto, dans la banlieue de la mégapole Johannesburg.
"On est là pour honorer la nourriture des townships", se réjouit son organisateur Sidwell Tshingilane au milieu de dizaines de stands enfumés qui débordent de clients.
"On a grandi en mangeant des kotas. C'est une nourriture des rues qui est aussi populaire que le burger en Amérique. Le kota, c'est notre burger local. Mais on ne le trouve pas à Sandton (un quartier riche de Johannesburg) ou au centre-ville, rien qu'ici, dans le township".
Comme son nom l'indique, le kota, version simplifiée de quarter, est composé d'un quart de miche de pain que l'on peut garnir, une fois creusé, d'un nombre incalculable de couches de frites, œufs, viande, saucisses ou cornichons, jusqu'à satiété.
La mie retirée de la miche est alors posée au dessus et l'ensemble vigoureusement aplati pour le ramener à l'épaisseur d'un tramezzino italien, plus facile à ingurgiter.
Volontiers taquins, les amateurs s'amusent en vus assurant les doigts luisant de gras que leur casse-croûte favori est écrasé en s'asseyant dessus ou en le passant sous les roues d'une voiture... après bien sûr l'avoir emballé de plastique.
'Solution locale'
"Les gens des townships n'ont pas les moyens de manger chic. Alors, au lieu d'aller chez McDonald's, ils vont manger un kota", résume Sidwell Tshingilane.
Le sandwich est né dans les années 1960, improbable sous-produit alimentaire du régime raciste blanc alors au pouvoir en Afrique du Sud.
L'anthropologiste Anna Trapido raconte très sérieusement qu'il s'est imposé comme une parade aux lois qui interdisaient aux Noirs et aux Métis de fréquenter les restaurants et même de manger dans une assiette avec couteau et fourchette.
"Il a fallu trouver un moyen pour contenir la nourriture", professe-t-elle. Du pain, donc. "Le kota est devenu la solution purement sud-africaine à un problème purement sud-africain".
Ce label "historique" ou de "libération nationale" suffit à expliquer son succès et sa longévité, estime l'universitaire.
"Les kotas sont probablement encore emblématiques à cause de leur histoire", insiste Anna Trapido, "ils sont nés pendant la période la plus difficile de notre histoire".
Le kota a survécu à la chute, il y a un quart de siècle, de l'apartheid qui l'a fait naître. Aujourd'hui, sa popularité souffre depuis quelques années du débat sur la malbouffe et de la répétition des grandes crises alimentaires.
Le petit cousin austral du "McDo" est riche en hydrocarbonates et en graisses de tous poils et inquiète donc les médecins.
Epidémie
"Le nombre d'enfants obèses augmente à cause de ce que nous leur donnons à manger", s'inquiète le Dr Mpho Tshukudu, "nous voyons de plus en plus d'enfants qui souffrent de diabète de type 2 (...) ou d'hypertension artérielle".
Dans le collimateur des diététiciens, le kota a aussi souffert de l'épidémie de listériose qui vient de s'abattre sur l'Afrique du Sud, la plus grave jamais recensée sur la planète selon l'ONU.
La bactérie a causé la mort de 216 personnes en contaminant des aliments et des plats préparés à base de saucisse ou de viande, dont les consommateurs se sont massivement détournés.
Le kota n'a pas échappé à la suspicion. Certains se plaignent d'avoir vu chuter leurs recettes de 40%.
Pas de quoi toutefois menacer son avenir, assurent ses indécrottables défenseurs. "La listériose n'existe pas dans notre monde, on a continué à manger", lance, bravache, Nthabiseng Matlhare en machant une bouchée de son kota au poulet. "Listériose ou pas, ici on mage du kota, c'est notre tradition", salive-t-elle.
Un élément du folklore local, sur lequel la vice-ministre du Tourisme Elizabeth Thabethe compte, avec les bières artisanales du cru ou la maison de l'icone de la lutte antiapartheid Nelson Mandela, pour promouvoir la visite des townships auprès des tour-opérateurs mondiaux.
"Les touristes étrangers peuvent goûter à la cuisine haut-de-gamme dans leurs pays", argumente Mme Thabethe, "mais ce kota, là, ils ne dégusteront qu'ici".
Avec AFP