Penché sur la dépouille de la victime malgré les effluves nauséabondes qui s'en échappent, Frik Rossouw énumère les maigres conclusions de l'examen de la scène de crime.
"Nous avons trouvé une douille de calibre .458 et il semble qu'il y ait aussi une balle à l'intérieur de la carcasse. A part ça, rien", lâche le détective du département des parcs nationaux d'Afrique du Sud (SanPark). "Comme vous le constatez, les hyènes et les vautours ont déjà fait le ménage".
Ses collègues ont retrouvé non loin de là le petit auquel la femelle a donné naissance il y a dix mois seulement. Ils l'ont aussitôt mis en sécurité dans une zone protégée.
"Il était si petit qu'on a pu l'installer sur le siège arrière de l'hélicoptère", explique Frik Rossouw.
Chaque année, des milliers de rhinocéros sont abattus de la sorte en Afrique pour leurs cornes. Très prisées en Chine et au Vietnam pour leurs prétendues vertus médicinales ou aphrodisiaques, elles s'échangent jusqu'à 55.000 euros le kilo.
Cette traque sans merci menace aujourd'hui l'espèce d'extinction.
Il reste 5.000 spécimens de rhinocéros noirs sur le continent, dont 1.900 en Afrique du Sud. Le pays en abrite aussi 20.000 spécimens blancs, soit 80% de la population mondiale.
Même s'il est l'un des plus surveillés, le célébrissime parc Kruger (nord-est) n'échappe pas à l'appétit vorace des braconniers.
La femelle que vient de découvrir le détective Rossouw est la quatrième victime de leur basse besogne en quelques semaines à peine. A un kilomètre de là, un autre rhinocéros est retrouvé mort, lui aussi amputé de ses deux cornes.
"C'est la première fois que nous constatons un meurtre dans cette région du parc, si près de la route principale", remarque le "ranger" en épaulant son fusil d'assaut.
"Celui-ci a sûrement été tué la nuit, les braconniers ne prennent pas de risque en plein jour, il y a trop de passage."
La plupart préfèrent mener leurs raids pendant les nuits de pleine lune, pour éviter d'utiliser les torches électriques qui trahiraient leur présence aux patrouilles de surveillance.
Mieux équipés, mieux armés, plus nombreux, les "rangers" commencent lentement à prendre le pas sur leurs proies.
"Nous avons réduit le nombre d'animaux victimes de braconnage. Il était de cinq par jour il y a deux ans, nous pouvons fièrement annoncer que ce chiffre a aujourd'hui été réduit à une moyenne de 1,3 par jour", s'enorgueillit le porte-parole de SanPark, Isaac Phaahla.
Entre autres innovations, les "rangers" du parc Kruger utilisent aujourd'hui des moyens de détection dernier cri, un avion de surveillance et des chiens spécialement dressés pour renifler l'ivoire des défenses et des cornes.
Ces équipes cynophiles sont à l'origine de quelques-unes de leurs récentes victoires les plus emblématiques.
"Un maître-chien peut repérer et identifier des traces humaines", note l'un d'entre eux, Craig Williams. "Mais son animal est imbattable dès lors qu'il s'agit de suivre une odeur dans la savane, la traque est un travail d'équipe".
A en croire son pilote Andrew Desmet, le petit avion léger de type Bat Hawk mis à la disposition des "rangers" s'est lui aussi révélé une arme redoutable.
"L'avion sert de repoussoir. Il force les braconniers à se cacher derrière les arbres et à attendre qu'il soit passé pour reprendre leurs activités, il les ralentit", explique Andrew Desmet.
Le pilote espère que la flotte du parc s'agrandira bientôt d'un autre aéronef plus puissant et plus endurant.
La guerre contre le braconnage se livre aussi hors des 2 millions d'hectares du parc Kruger. Sur les routes qui bordent le parc, dans les aéroports, des policiers traquent les filières d'exportation illégale d'ivoire. Sur ce front aussi, les progrès sont difficiles.
"L'arrestation de têtes de réseaux est un projet sur trois ans", concède Isaac Phaahla. "On a récemment intercepté trois chefs (...), ce qui montre que notre collaboration avec la police commence à porter ses fruits", se réjouit-il.
Dans la seule province du Mpumalanga, qui abrite la partie sud du Kruger, un total de 365 braconniers présumés de rhinocéros ont été arrêtés dans la première moitié de l'année.
Le porte-parole du parc espère maintenant que la justice, dernier maillon de la chaîne, leur infligera des peines exemplaires et dissuasives. Pour que ses "rangers" en première ligne n'aient pas l'impression de livrer un combat vain.
Avec AFP