"Ne dure pas au pouvoir qui veut, mais dure qui peut": face à la presse en 2015, Paul Biya avait ironisé sur sa longévité au pouvoir, lui qui est locataire du palais d'Etoudi à Yaoundé depuis 1982.
Au Cameroun, au cœur d'une région où la force a souvent accompagné les transitions de pouvoir, Paul Biya a mis en place un "subtil équilibre des forces" entre les différents corps des armées, selon Hans de Marie Heungoup, chercheur à l'International Crisis Group (ICG).
Pour lui, le système de défense au Cameroun est "conçu dans son fonctionnement pour que tout le monde s'autosurveille et soit entretenu dans des rivalités d'ethnie et de génération".
"Personne ne peut bouger une unité active sans accord du président", note encore M. Heungoup qui souligne un équilibre des forces entre l'armée régulière d'une part, et le Bataillon d'intervention rapide (BIR) et la Garde présidentielle d'autre part, deux corps dépendant directement de la présidence.
Autre élément de poids pour expliquer cette longévité sans précédent au Cameroun: le placement de fidèles aux postes clés de l'administration.
- "Clientélisme" -
Le président de l'Assemblée nationale, Djibril Cavaye Yeguié, 74 ans, le chef d'état-major des armées, René Claude Meka, 79 ans, et le directeur de la société nationale d'hydrocarbures, Adolphe Moudiki, 79 ans, sont des proches du président et ont tous trois passé plus de 15 ans à leur poste.
Au fil des ans, ce système s'est renforcé avec "un mélange de fatalisme et de clientélisme chez certaines élites politiques qui ont rallié le régime petit à petit", estime Fred Eboko, politologue camerounais à l'Institut de recherche et développement (IRD).
Pour lui, la principale ambition de M. Biya depuis qu'il est en poste, est "la conservation du pouvoir".
De fait, "le système est bâti sur un seul individu et cet individu s'est identifié à la fonction", pense Titus Edzoa, ancien proche du président Biya, qui a été secrétaire général de la présidence entre 1994 et 1996 et plusieurs fois ministre.
"Si vous essayez d'aller contre Biya, vous êtes brisé", déclare-t-il à l'AFP.
Et Titus Edzoa en a fait les frais: en 1997, après avoir démissionné de son poste de ministre de la Santé pour se présenter à l'élection présidentielle, il est arrêté et accusé d'avoir détourné des millions de francs CFA. Il passera dix-sept ans derrière les barreaux.
Aujourd'hui libéré, il estime que ce système centré sur la personne de Paul Biya "peut mener à une implosion, non seulement du système, mais du Cameroun tout entier" dans un futur proche, soulignant que Biya "est un être humain, qu'on le veuille ou pas il faut toujours penser à l'avenir".
Et de s'interroger: "Comment pouvez-vous imaginer que l'histoire d'un peuple s'arrête à un individu?"
- "Dieu lui a donné le pouvoir" -
Selon un proche de la présidence, cette histoire commune entre Paul Biya et le Cameroun aurait quelque chose de christique: "c'est Dieu qui lui a donné le pouvoir, il ne l'a pas conquis".
Dans un ouvrage paru en septembre, Osvald Baboke, directeur adjoint du cabinet civil de la présidence, corrobore cette idée en estimant que "le destin de Paul Biya semblait préfabriqué" du fait d'une "chance promise par Dieu".
"Rester 36 ans de cette façon-là (au pouvoir) et se représenter, c'est du talent", reconnait Titus Edzoa qui ajoute que, selon lui, "Biya règne sans gouverner".
Ses absences répétées du palais - souvent en Suisse ou parfois dans son village natal du sud - sont largement critiquées au Cameroun.
Selon l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP, un consortium international de journalistes), le président Biya a passé "au moins quatre ans et demi en visite privée" à l'étranger depuis son arrivée au pouvoir.
Il est cependant présent pour la dernière ligne droite de la campagne: il a tenu un meeting samedi à Maroua (nord), sa première visite en province depuis... 2012.
Avec AFP