Le chef de la diplomatie américaine a semblé théoriser pour la première fois la nouvelle politique de Washington, esquissée par petites touches ces dernières semaines par plusieurs responsables. Et après sept années de conflit, on est bien loin des velléités de retrait exprimées au printemps par Donald Trump.
"Aujourd'hui le conflit en Syrie est à un tournant", a reconnu le secrétaire d'Etat dans un discours devant le Jewish Institute for National Security of America.
Le régime de Bachar al-Assad "a renforcé son contrôle" sur le terrain "grâce à la Russie et à l'Iran", tandis que le groupe djihadiste Etat islamique (EI), "bien que pas encore totalement éradiqué, n'est plus que l'ombre de lui-même", a-t-il ajouté.
Cette "nouvelle donne requiert une réévaluation de la mission de l'Amérique en Syrie": si la défaite de l'EI reste "le premier objectif", "ce n'est pas notre seul objectif", a expliqué Mike Pompeo.
Selon lui, l'administration de Donald Trump veut aussi une résolution politique et pacifique de la guerre, ainsi que "le départ de Syrie des forces iraniennes ou soutenues par l'Iran", en premier lieu afin de protéger Israël pour qui Téhéran représente une menace directe.
Théoriquement, la mission militaire des 2.000 soldats américains déployés sur le sol syrien s'inscrit uniquement dans le cadre de la lutte anti-djihadiste. Et l'EI ayant été quasiment chassé de tous les territoires qu'il contrôlait, le président Trump, qui n'aime guère les coûteuses et interminables opérations extérieures, avait sonné au printemps le début de la fin de leur présence en Syrie.
Mais depuis, ses conseillers militaires et diplomatiques, ainsi que les alliés européens de Washington, semblent l'avoir convaincu qu'il était trop tôt pour partir.
Désormais, rapporte-t-on de source diplomatique, Donald Trump dit à ses interlocuteurs internationaux qu'il "reste à cause de l'Iran". Et Mike Pompeo assure que, malgré des "difficultés légales" liées à un Congrès américain sourcilleux lorsqu'il s'agit de voir l'exécutif élargir unilatéralement les motifs de ses interventions militaires, les Etats-Unis "trouveront une manière de rester", ajoute-t-on de même source.
Le conseiller présidentiel à la sécurité nationale, John Bolton, avait déjà prévenu en septembre que les Américains ne partiraient pas de Syrie "tant que les forces iraniennes" y resteraient.
Une affirmation ensuite nuancée par la diplomatie américaine. "Le président Trump nous veut en Syrie" notamment jusqu'au retrait des forces iraniennes, mais "ça ne signifie pas forcément des bottes américaines sur le terrain", avait expliqué l'envoyé spécial pour le conflit syrien James Jeffrey, évoquant "plusieurs manières" d'être présents, diplomatiquement ou par alliés locaux interposés.
Le lien avec l'effort pour contenir l'influence jugée "déstabilisatrice" de Téhéran au Moyen-Orient, érigé en priorité numéro un de l'administration Trump dans la région, était en tout cas déjà ouvertement établi.
Mike Pompeo l'a encore renforcé mercredi.
"Nous avons été clairs: si la Syrie ne garantit pas le retrait total des forces soutenues par l'Iran, elle ne recevra pas un seul dollar de la part des Etats-Unis pour la reconstruction", a-t-il martelé, estimant que cela dépend avant tout de Damas -- les Occidentaux doutent que les Russes aient, eux, les moyens de pousser seuls les Iraniens vers la sortie.
Jusqu'ici, les Américains, comme les Européens, conditionnaient leur participation à l'énorme tâche de la reconstruction, notamment dans les territoires contrôlés par le régime de Bachar al-Assad, uniquement à une résolution politique du conflit syrien sous l'égide de l'ONU -- un processus totalement au point mort.
"Nous avons deux leviers en Syrie", "être présents sur le terrain" et "le fait que Damas et la Russie ont besoin de fonds internationaux pour la reconstruction", relevait récemment un diplomate occidental.
Avec cette nouvelle évolution, Washington entend désormais se servir de ces deux leviers pour faire pression à la fois sur le régime syrien, la Russie et l'Iran.
Avec AFP