"Nous avons une culture du viol en Sierra Leone", a déploré le 4 décembre, lors d'une marche ayant rassemblé quelque 500 personnes habillées de noir dans la capitale Freetown, l'avocat et militant sierra-léonais Chernor Bah, ancien conseiller de l'Initiative mondiale pour l’éducation avant tout (GEFI) lancée en 2012 par l'ONU.
"La situation est triste, égoïste, barbare et requiert de nous tous --hommes et femmes-- d'élever la voix contre cet acte lâche", a affirmé lors de cette marche des "robes noires" son initiatrice, la journaliste de radio Asma James, en dénonçant un "problème national".
Selon des statistiques de la police, le nombre de cas de violences sexuelles a doublé en un an en Sierra Leone, passant de 4,750 en 2017 à 8.505 depuis le début de l'année.
Les trois quarts des victimes sont des mineures de moins de 15 ans, dont certaines âgées d'à peine 7 mois, et quelque 150 jeunes femmes en moyenne tombent enceinte chaque mois des suites d'un viol, selon l'association locale Rainbow Initiative.
- Droguée et violée -
A Freetown, sur 1.491 cas recensés entre janvier et octobre, "six survivantes ont contracté le virus du sida et 484 sont enceintes", explique le directeur de Rainbow Initiative, Daniel Kettor.
"Trois hommes m'ont droguée avec du Tramadol (un antidouleur dérivé de l'opium, NDLR) dans un bâtiment en construction près de notre maison. Ils m'ont mis des vêtements sales dans la bouche et m'ont violée", confie une fille de neuf ans vivant dans l'est de la capitale qui a souhaité être identifiée par le prénom de Mary.
Selon sa mère, qui a retrouvé sa fille prostrée avec des traces de sang sur les jambes et sur sa robe, la plainte déposée au commissariat de police local n'a pas eu de suite, bien que les violeurs soient identifiés.
Les auteurs de violences sexuelles sont des "enseignants, des amis de la famille, des proches, des voisins ou encore des chefs traditionnels", souligne quant à elle la directrice de l'Unité de soutien familial de la police de Sierra Leone, Fatmata Daboh.
"Beaucoup de cas sont réglés en dehors des tribunaux ou ne débouchent pas sur des procès, faute de laboratoire de médecine légale pouvant recueillir les preuves", explique-t-elle.
- "Prison à vie" -
"Nous travaillons sur la révision de notre législation pour punir plus sévèrement les auteurs de viols et de violences sexuelles", a affirmé la ministre de la Justice, Princilla Schwartz, alors que le code pénal actuel prévoit des peines de cinq à 15 années de réclusion.
"Il faut former les enquêteurs à recueillir et à mettre en sécurité les preuves pour que les poursuites soient efficaces", a ajouté la ministre, qui s'exprimait lors d'un forum qui s'est tenu à Freetown dans le cadre d'une campagne de sensibilisation de 16 jours devant s'achever lundi.
"Que ça soit bien clair, les hommes qui violent des filles doivent être mis en prison à vie", a de son côté déclaré le président Julius Maada Bio dans le cadre de cette campagne, alors qu'un homme de 56 ans a été condamné le mois dernier à un an de prison à Freetown pour le viol d'une fillette de six ans.
Il y a quelques semaines, l'opinion a été choquée par le viol extrêmement violent d'une autre fillette de cinq ans par un homme de 28 ans. Atteinte à la colonne vertébrale pendant son agression, la jeune victime risque de ne jamais pouvoir remarcher, selon les médecins.
Depuis le début de l'année, seul 26 affaires de viol ont abouti à des condamnations, en raison de l'absence de moyens scientifiques disponibles pour établir les preuves ou du coût de la procédure pour les plaignants, selon des documents judiciaires.