Cette manifestation est un tournant depuis le début de ce mouvement de contestation il y a près de quatre mois, qui appelle à la chute du président Omar el-Béchir, à la tête du pays depuis un coup d'Etat en 1989.
Jusque là restées discrètes, les ambassades à Khartoum des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Norvège ont appelé le pouvoir soudanais à répondre aux revendications des contestataires "d'une façon sérieuse et crédible" et à "mettre en place "un plan de transition politique crédible".
Bravant l'interdiction de manifester, des milliers d'hommes et femmes ont campé une nouvelle nuit devant le QG de l'armée, qui sert aussi de résidence pour M. Béchir.
Scandant "liberté, liberté", ils ont appelé l'institution militaire, qui n'a pas participé à la répression des manifestations contrairement aux forces de sécurité, à soutenir son mouvement et à discuter d'un "gouvernement de transition" pour remplacer le président Béchir.
A cette heure, les intentions exactes de l'armée restent inconnues.
Tôt mardi, les forces de sécurité du puissant Service national de renseignement et de sécurité (NISS) et la police antiémeutes --qui mènent la répression-- ont tiré des gaz lacrymogènes pour tenter de déloger les manifestants, ont rapporté des témoins et un manifestant.
"Il y a des tirs intenses de gaz lacrymogènes après quoi l'armée a ouvert les portes du complexe pour laisser entrer les manifestants", a ajouté un témoin.
"Quelques minutes plus tard, un groupe de soldats a tiré en l'air pour repousser les forces de sécurité qui faisaient usage de gaz lacrymogènes", a-t-il indiqué. Un journaliste de l'AFP a aussi entendu des coups de feu pendant quelques minutes.
Quelques heures plus tard, les forces de sécurité ont tenté une nouvelle fois de disperser le sit-in, selon des témoins.
Elles ont tiré des gaz lacrymogènes et tiré en l'air en approchant du secteur, tandis que des soldats ont à nouveau de leur côté tiré en l'air, selon des témoins.
Rien ne dit si l'armée a tiré en l'air pour protéger les manifestants. Une vidéo, obtenue depuis Paris par l'AFP, montre les services de sécurité tenter lundi de disperser les manifestants, avant de battre en retraite après des coups de feu de l'armée.
- "Gouvernement de transition" -
Au moins 38 manifestants ont été tués depuis le début de la contestation, dont sept samedi, selon les autorités.
Mardi, des soldats transportant un corps sur un pick-up sont entrés dans le complexe, selon un témoin. Aucune information n'a pour l'heure été donnée sur l'identité de la victime.
Lundi, devant le QG de l'armée, l'opposant Omar el-Digeir, chef du Parti du Congrès soudanais, a appelé l'armée à "engager un dialogue direct" avec l'Alliance pour le changement et la liberté, une union de partis d'opposition et de professionnels soudanais, "afin de faciliter un processus pacifique débouchant sur la formation d'un gouvernement de transition".
"Les forces armées soudanaises comprennent les motifs des manifestations et ne sont pas contre les demandes et les aspirations des citoyens, mais elles ne laisseront pas le pays sombrer dans le chaos", a répondu le ministre de la Défense, le général Awad Ahmed Benawf, selon l'agence officielle Suna.
Dans un communiqué, le général Kamal Abdelmarouf, chef d'état-major de l'armée, a précisé que celle-ci "continuait d'obéir à sa responsabilité de protéger les citoyens".
Un conseil a été formé par les organisateurs de la contestation pour lancer des négociations avec les forces de sécurité et la communauté internationale, dans le but de transférer le pouvoir à un "gouvernement de transition, fidèle aux voeux de la révolution", a déclaré M. Digeir.
"Nous réitérons la demande du peuple de démission immédiate du chef du régime et de son gouvernement", a-t-il dit.
- "Dialogue inclusif" -
Déclenchées en décembre par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, les manifestations se sont rapidement transformées en contestation contre M. Béchir.
Le Soudan, amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l'indépendance du Soudan du Sud en 2011, est confronté à une inflation de près de 70% par an et fait face à un grave déficit en devises étrangères.
Les manifestations de ces derniers jours ont coïncidé avec des coupures d'électricité dans tout le pays, que le ministère de l'Electricité a attribué à un problème technique.
Depuis le début des contestations, M. Béchir a refusé de démissionner. Après avoir tenté de réprimer la contestation par la force, il a instauré le 22 février l'état d'urgence dans tout le pays.
La mobilisation avait alors nettement baissé, jusqu'à la journée de samedi, date marquant l'anniversaire de la révolte du 6 avril 1985 qui avait permis de renverser le régime du président Jaafar al-Nimeiri.
Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a exhorté lundi le gouvernement à "créer un environnement propice à une solution à la situation actuelle et à la promotion d'un dialogue inclusif".