M. Béchir, au pouvoir depuis un coup d'Etat en 1989, fait face à son plus grand défi en trente ans de règne sans partage, depuis le début en décembre de manifestations antigouvernementales à travers le pays.
Le mouvement de contestation a atteint un pic samedi lorsque des manifestants ont atteint le quartier général de l'armée, situé dans un complexe comprenant également une résidence présidentielle, pour appeler les militaires à ne plus soutenir M. Béchir.
Des images non authentifiées de soldats portés par des manifestants dansant et souriant, sont devenues virales sur les réseaux sociaux.
La police soudanaise, un élément clé des forces de sécurité, a annoncé vouloir l'union du "peuple soudanais (...) pour un accord qui soutiendrait un transfert pacifique du pouvoir".
- Ne pas intervenir -
Elle a appelé ses forces à ne pas intervenir contre les manifestants, quelques heures après avoir tenté de les disperser.
Mardi soir, les protestataires s'apprêtent à camper pour la 4e nuit de suite devant le QG de l'armée, après avoir passé une nouvelle journée sous un soleil brûlant à braver l'interdiction de manifester et à scander des slogans antigouvernementaux.
Nombre d'entre eux ont allumé les lumières de leur téléphone portable dans l'obscurité, selon des témoins.
Les ambassades à Khartoum des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la Norvège ont elles demandé la mise en place d'"un plan de transition politique crédible", appelant les autorités soudanaises à "répondre (aux) revendications populaires".
Cet appel est intervenu après plusieurs tentatives, vaines, de la police et du puissant service de renseignement NISS de déloger les contestataires réunis devant le QG de l'armée.
"Il y a eu des tirs intenses de gaz lacrymogènes après quoi l'armée a ouvert les portes du complexe pour laisser entrer les manifestants", a décrit un témoin. "Quelques minutes plus tard, un groupe de soldats a tiré en l'air pour repousser les forces de sécurité qui faisaient usage de gaz lacrymogènes."
Un journaliste de l'AFP a aussi entendu des coups de feu.
Rien ne dit si l'armée a tiré en l'air pour protéger les manifestants, comme l'affirment certains témoins, ou pour d'autres raisons: à cette heure, les intentions exactes des militaires restent inconnues.
- "Gouvernement de transition" -
Au moins 38 manifestants ont été tués depuis le début de la contestation, dont sept samedi, selon les autorités.
Le principal leader d'opposition, Sadek al-Mahdi, a lui affirmé que 20 personnes ont été tuées depuis samedi par des hommes armés portant des masques s'attaquant chaque matin aux manifestants rassemblés devant le QG de l'armée.
Mardi, des soldats transportant un corps sur un pick-up sont entrés dans le QG, selon un témoin. Aucune information n'a pour l'heure été donnée sur l'identité de la victime.
"Les forces armées soudanaises comprennent les motifs des manifestations et ne sont pas contre les demandes et les aspirations des citoyens, mais elles ne laisseront pas le pays sombrer dans le chaos", a indiqué le ministre de la Défense, le général Awad Ahmed Benawf, selon l'agence officielle Suna.
Dans un communiqué, le général Kamal Abdelmarouf, chef d'état-major de l'armée, a précisé que celle-ci "continuait d'obéir à sa responsabilité de protéger les citoyens".
Un conseil a été formé par les organisateurs de la contestation pour lancer des négociations avec les forces de sécurité et la communauté internationale, dans le but de transférer le pouvoir à un "gouvernement de transition", a déclaré M. Digeir.
"Nous réitérons la demande du peuple de démission immédiate du chef du régime et de son gouvernement", a-t-il dit.
- "Dialogue inclusif" -
Déclenchées le 19 décembre par la décision du gouvernement de tripler le prix du pain, les manifestations se sont rapidement transformées en contestation contre M. Béchir.
Le Soudan, amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole depuis l'indépendance du Soudan du Sud en 2011, est confronté à une inflation de près de 70% par an et fait face à un grave déficit en devises étrangères.
Les manifestations de ces derniers jours ont coïncidé avec des coupures d'électricité dans tout le pays, que le ministère de l'Electricité a attribué à un problème technique.
Depuis le début des contestations, M. Béchir a refusé de démissionner. Après avoir tenté de réprimer la contestation par la force, il a instauré le 22 février l'état d'urgence dans tout le pays.
La mobilisation avait alors nettement baissé, jusqu'à la journée de samedi, date marquant l'anniversaire de la révolte du 6 avril 1985 qui avait permis de renverser le régime du président Jaafar al-Nimeiri.
Avec AFP