Depuis lundi, les habitants de ce petit pays anglophone d'Afrique de l'Ouest pratiquement enclavé dans le Sénégal, suivent en direct et sont tenus en haleine par les auditions de trois ex-junglers, Malick Jatta, Omar Jallow et Amadou Badjie, devant la Commission vérité et réconciliation (TRRC).
Lors de la dernière journée d'interrogatoires de la semaine devant la TRRC, qui reprendra ses travaux le 5 août, le sergent-chef Amadou Badjie a affirmé que le chef de l'Etat leur avait ordonné en juin 2013 de "découper en morceaux" Alhajie Ceesay et Ebou Jobe, deux hommes d'affaires américano-gambiens qu'il soupçonnait de préparer un coup d'Etat.
Les deux hommes ont été arrêtés et conduits à la résidence du président, dans son village de Kanilai, puis emmenés au fond de son immense jardin où ils ont été étouffés puis décapités et enterrés, selon Amadou Badjie, qui a participé à l'opération. "Nous étions l'équipe de choc de Yahya Jammeh, nous avions une confiance aveugle en lui", a-t-il expliqué.
Arrivé au pouvoir par un putsch sans effusion de sang en juillet 1994 dans ce petit pays anglophone d'Afrique de l'Ouest, Yahya Jammeh s'était fait élire en 1996 puis réélire sans interruption jusqu'à sa défaite en décembre 2016 face à l'opposant Adama Barrow.
Les défenseurs des droits de l'Homme accusent son régime de tortures systématiques d'opposants et de journalistes, d'exécutions extra-judiciaires, de détentions arbitraires, de disparitions forcées et de viols.
Après six semaines d'une crise à rebondissements, Yahya Jammeh a finalement dû quitter son pays en janvier 2017 à la suite d'une intervention militaire et diplomatique régionale.
Adama Barrow avait indiqué début 2018 qu'il attendrait la fin des travaux de la TRRC pour se prononcer sur une éventuelle demande d'extradition de son prédécesseur.
Le sergent-chef Amadou Badjie a aussi affirmé que l'ex-chef d'état-major Ndure Cham, auteur d'un putsch manqué en 2006 selon l'ex-régime et réputé en fuite au Sénégal, avait été étouffé par des soldats et lui aussi enterré dans le village de Kanalai.
Yahya Jammeh avait été accusé lundi par ses ex-hommes de main d'avoir commandité le meurtre en 2004 du journaliste Deyda Hydara, cofondateur d'un journal privé et correspondant de l'AFP.
Ils l'ont ensuite accusé mardi d'avoir fait tuer en 2005 une cinquantaine de migrants originaires d'Afrique de l'Ouest, dont une majorité de Ghanéens, arrêtés sur une plage de Gambie alors qu'ils tentaient de se rendre en Europe et pris pour des putschistes. Le président a aussi fait tuer la même année un membre de sa famille, Haruna Jammeh, selon les anciens junglers.
Dans un communiqué, l'ambassade américaine a "salué" ces révélations, estimant qu'elles permettrait de "relancer les investigations" sur la mort des ressortissants américains.
"Ce n'était pas facile à écouter, mais cela montre que nous sommes sur la bonne voie et que la justice est en train d'arriver", a commenté Baba Hydara, le fils de Deyda Hydara, cité par Human Rights Watch.
"Qui va encore nier que c'est lui le responsable des disparitions mystérieuses, dont l'enlèvement et le meurtre de cinquante Ouest-Africains", a réagi jeudi un chauffeur de taxi de Banjul, Musa Manjang. "Je suis choquée, je regrette d'avoir voté pour lui", a abondé une marchande de la capitale, Mariama Manga.