Julius Ayuk Tabe, 54 ans, qui s'était autoproclamé en 2017 "président" de l'"Ambazonie", l'Etat que les séparatistes de la minorité anglophone veulent fonder, a été condamné à la perpétuité avec 9 autres de ses partisans par un tribunal militaire de Yaoundé, ont annoncé à l'AFP les avocats de l'Etat et de la Défense.
En 2016, une partie des habitants des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont commencé à manifester pour demander davantage de reconnaissance de l'Etat central. Face au refus des autorités et la répression, une partie des séparatistes a pris les armes en 2017 et les affrontements avec les forces de sécurité ont fait, depuis, plus de 2.000 morts selon Human Rights Watch (HRW).
M. Ayuk Tabe, considéré comme une figure de la contestatation séparatiste, milite depuis plusieurs années pour que les deux régions anglophones du Cameroun se séparent de la partie francophone du pays. Il s'est récemment dit ouvert au dialogue avec le gouvernement, sous conditions, plutôt que par les armes, ce qui lui vaut d'être contesté en tant que leader de cette cause par la branche radicale armée.
En janvier 2018, M. Ayuk Tabe avait été interpellé avec 46 autres indépendantistes à Abuja par les services de renseignement nigérians. Ils avaient ensuite été transférés à Yaoundé. Une extradition jugée illégale par la justice nigériane en mars 2019.
Le procès de M. Ayuke Tabe et des neuf autres séparatistes s'était ouvert fin décembre.
Le verdict prononcé mardi matin par le tribunal militaire de Yaoundé les condamnant à la prison à vie a été assorti d'une amende collective de 250 milliards de FCFA (381 millions d'euros), selon l'un des avocats de la défense, Me Joseph Fru.
Ces derniers n'ont pas encore indiqué s'ils allaient faire appel de cette sentence. Mais, ils ont qualifié le procès de "parodie de justice".
Risque de radicalisation
"Cette condamnation risque d’aggraver la situation sécuritaire en zone anglophone dans les prochaines semaines", estime un expert du Cameroun du groupe de réflexion International Crisis Group (ICG).
"Elle pourrait radicaliser, selon lui, une partie des séparatistes qui voyaient dans le fait que ces leaders n'avaient pas encore été condamnés comme une marque d'espoir".
Cette décision tombe au moment où, après trois ans de conflit, des signes d'ouverture avaient été enregistrés ces derniers mois.
Face aux pressions internationales, le président Paul Biya, 86 ans, s'était dit prêt en mai à organiser un dialogue pour résoudre la crise anglophone au Cameroun. Une ouverture tranchant avec l'intransigeance affichée jusque-là par Yaoundé.
En réponse, le leader séparatiste s’était dit disposé à participer à des pourparlers avec le gouvernement, mais uniquement à l'étranger, posant comme préalable sa libération, ainsi que celle de toutes les personnes détenues dans le cadre de la crise anglophone.
"M. Ayuk Tabe a beaucoup de poids chez les anglophones. Sa condamnation va rendre la résolution de la crise encore plus compliquée", a déclaré à l'AFP Denis Nkenlemo, le chargé de communication du principal parti d'opposition au Cameroun opposé à la sécession, le Social democratic front (SDF).
"Cette décision est un acte de provocation qui prouve, une fois de plus, que le gouvernement n'est pas prêt pour le dialogue (...) et nous mène droit dans le mur", a-t-il ajouté.
Combats quasi-quotidiens
Depuis le début du conflit en zone anglophone, la terreur règne, selon les ONG de défenses de droits de l'Homme. Des combats opposent quasi-quotidiennement l'armée, déployée en nombre, à des groupes épars de séparatistes armés qui, cachés dans la forêt équatoriale, attaquent gendarmeries et écoles et multiplient les enlèvements.
Des ONG pointent également régulièrement des exactions de l'armée contre les civils.
Le conflit a forcé plus de 530.000 personnes à quitter leur foyer, selon des chiffres de l'ONU.
Le Cameroun, pays d'Afrique centrale, est dirigé par Paul Biya depuis son arrivée au pouvoir en 1982.
Outre la crise dans les régions anglophones, le Cameroun est confronté à plusieurs défis. Notamment une crise politique, depuis la réélection de M. Biya à la magistrature suprême en octobre 2018, contestée par l'opposition.
Il fait également face à des défis sécuritaires immenses dans le nord du pays,où le groupe jihadiste nigérian Boko Haram multiplie les attaques.