Le président américain a créé la surprise par une double annonce tonitruante samedi soir.
Il a d'abord dévoilé avoir organisé dans le plus grand secret une réunion, prévue ce dimanche dans sa résidence de Camp David, lieu emblématique de nombreuses négociations de paix, avec son homologue afghan Ashraf Ghani et, surtout, avec les chefs des talibans.
Ce projet de rencontre sans précédent avec les talibans, à deux jours du 18e anniversaire des attentats du 11 septembre 2001 qui avaient déclenché l'invasion américaine de l'Afghanistan, a soulevé l'indignation y compris parmi les alliés de M. Trump.
"Camp David est le lieu où les dirigeants de l'Amérique se sont retrouvés pour planifier notre riposte après qu'Al-Qaïda, soutenue par les talibans, eut tué 3.000 Américains le 11 septembre. Aucun membre des talibans ne devrait mettre les pieds là-bas. Jamais", a tweeté la membre républicaine du Congrès Liz Cheney, fille de l'ex-vice-président Dick Cheney.
"C'est très bizarre d'inviter une organisation terroriste de ce type à Camp David", a réagi pour sa part sur CNN le candidat démocrate à la présidentielle Julian Castro.
En quelques tweets, Donald Trump a aussi annulé les pourparlers en cours depuis un an avec les insurgés, qui semblaient pourtant sur le point d'aboutir à un accord après dix-huit ans de conflit en Afghanistan.
La raison invoquée pour ce coup de théâtre: l'attentat meurtrier de jeudi à Kaboul, revendiqué par les rebelles et qui a notamment tué un soldat américain.
"L'Amérique va souffrir plus que tout autre", "son attitude anti-paix sera plus visible aux yeux du monde, et ses pertes humaines et financières vont augmenter", a mis en garde un porte-parole du mouvement rebelle, Zabihullah Mujahid, promettant de "poursuivre son jihad" jusqu'à la "fin de l'occupation".
Dans l'immédiat, la violence risque de redoubler à l'approche de l'élection présidentielle du 28 septembre en Afghanistan.
- "Pas pessimiste" -
Est-ce pour autant la fin de ce processus inédit pour mettre fin à la plus vieille guerre des Etats-Unis?
Malgré leur message belliqueux, les talibans ont dit croire que les Américains reviendront à la table des négociations.
Quant au chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo, il n'a pas exclu une reprise des tractations, à condition que les insurgés "changent d'attitude" et "confirment les engagements qu'ils avaient pris". Faute de quoi "le président des Etats-Unis ne va pas réduire la pression", a-t-il averti.
"Je ne suis pas pessimiste", a toutefois assuré le secrétaire d'Etat.
Il a confirmé qu'un "accord de principe" était sur la table après "d'énormes progrès". Il devait permettre un début de retrait progressif des 13.000 à 14.000 soldats américains en Afghanistan, en échange de garanties contreterroristes de la part des talibans, d'une "réduction de la violence" et de l'ouverture de négociations de paix directes entre les autorités de Kaboul et les insurgés -- ce à quoi ces derniers s'étaient jusqu'ici toujours refusés.
Tenu jusqu'ici à l'écart, le président Ghani, qui avait exprimé sa "préoccupation" face au projet d'accord, a jugé que "la paix réelle ne pourra arriver que lorsque les talibans cesseront de tuer des Afghans et accepteront un cessez-le-feu et des pourparlers en tête à tête avec le gouvernement afghan".
Le Pakistan a invité Washington et les talibans à reprendre le dialogue. Quant au chef de la diplomatie iranienne Jawad Zarif, dont le pays est à la fois ennemi des talibans et des Etats-Unis, il a tweeté que "les étrangers vaincus doivent partir et la lutte fratricide doit prendre fin".
- "Prétexte" -
"S'ils sont incapables d'accepter un cessez-le-feu pendant ces discussions de paix très importantes", "alors ils n'ont probablement pas les moyens de négocier un accord significatif", a lancé samedi soir Donald Trump, qui a déjà marqué l'histoire en rencontrant le dirigeant nord-coréen Kim Jong Un et qui aimerait un sommet avec les dirigeants iraniens.
Selon Laurel Miller, responsable de la diplomatie américaine pour l'Afghanistan et le Pakistan entre 2013 et 2017, le projet de rencontre secrète avec les chefs talibans "est une grosse surprise". "Pourquoi l'annuler en raison d'une attaque meurtrière à Kaboul jeudi alors que les talibans ont récemment multiplié les attentats? Ce n'est pas très clair", dit à l'AFP l'actuelle directrice Asie de l'organisation de prévention des conflits International Crisis Group.
Une possible explication, selon l'analyste du cercle de réflexion Wilson Center Michael Kugelman, est que Donald Trump "avait besoin d'un prétexte pour se retirer d'un accord qui n'allait pas fonctionner". "Il en a trouvé un", souligne-t-il sur Twitter.
A Kaboul, le directeur de l'Institut afghan d'études stratégiques, Davoud Moradian, a pour sa part imputé l'échec à la stratégie de Washington, qui a selon lui "donné l'impression que les Etats-Unis étaient pressés de partir, que l'accord soit applicable ou pas".
Donald Trump, qui juge de longue date que ce conflit a coûté trop d'argent et de vies aux Etats-Unis et a promis de "mettre fin aux guerres sans fin", avait clairement fait savoir qu'il voulait battre le rappel des troupes avant de briguer un second mandat en novembre 2020.
Avec AFP