Sur les ordres de son père, paniqué, la jeune Zimbabwéenne de 19 ans a assemblé à la hâte quelques affaires et l'a suivi sans discuter jusqu'au poste de police le plus proche.
"On a tout abandonné sur place", se souvient-elle, "ça ne nous a pas pris plus de deux minutes".
Lorsqu'ils sont retournés dans leur quartier de l'est de Johannesburg, une fois le calme revenu, ils n'ont pu que constater les dégâts. La porte de leur maison avait été forcée, ses fenêtres brisées et tout ce qui se trouvait à l'intérieur brûlé ou emporté.
Alors Beverlyn Nyamakwenje et son père n'ont eu d'autre choix que de rejoindre les quelque 250 citoyens zimbabwéens et malawites qui ont trouvé refuge dans la maison de quartier de leur township.
Selon les estimations des autorités locales, quelque 850 étrangers vivant à Johannesburg ont préféré fuir pour échapper à la colère de foules armées de pierres, de bâtons et de haine qui ont attaqué et pillé leurs habitations et leurs commerces ces dix derniers jours.
Nourries par le chômage endémique et la pauvreté, les flambées de violences xénophobes sont récurrentes en Afrique du Sud.
Le dernier épisode "d'anarchie", selon le mot du président du pays Cyril Ramaphosa, s'est soldé par au moins 12 morts, plus de 600 arrestations et des dégâts considérables.
'Ils ont tout brûlé'
"C'est arrivé tellement vite", se souvient aujourd'hui Beverlyn Nyamakwenje dans son nouveau refuge sombre et encombré de couvertures et de valises, "je n'ai pu emporter qu'une paire de chaussures et deux de mes jeans".
Dans la cour, des enfants escaladent des véhicules municipaux, quelques femmes se tressent les cheveux et des garçons se disputent mollement un ballon de football.
A quelques centaines de mètres de là, le calme semble revenu dans leur quartier. Mais par peur, ils se refusent encore à y revenir.
"Aux informations, ils disent que les attaques sont terminées (...) mais non, ils continuent à nous attaquer", affirme Poronkie, un plombier zimbabwéen de 47 ans qui refuse de donner son nom de famille par peur des représailles.
"Je suis sans domicile", poursuit-il, "ils ont brûlé tout ce que j'avais, je remercie Dieu d'être encore en vie".
Les violences ont profondément choqué les déplacés de Katlehong.
"Les Sud-Africains ne veulent plus de nous, ils se débarrassent de nous très brutalement", accuse Joseph Mozorodze, un Zimbabwéen de 25 ans qui travaille sur les chantiers de Johannesburg depuis plusieurs années. "Mais on ne leur fait rien. On cherche juste du travail pour gagner notre vie".
Première puissance industrielle africaine, l'Afrique du Sud accueille des millions - les statistiques officielles n'existent pas - de migrants venus de tout le continent en quête de paix ou d'emplois.
Dans les townships pauvres du pays, ces étrangers, souvent en situation irrégulière, tiennent de nombreux petits commerces et occupent des emplois sans qualification pour des salaires de misère que refusent la plupart des Sud-Africains.
'Qu'est-ce qu'on a fait ?'
La cohabitation entre les communautés y est difficile. Au moindre incident, elle vole en éclats.
Aujourd'hui, John Chirwa est inquiet. Depuis les violences de la semaine dernière, cet agent de sécurité malawite de 27 ans refuse de laisser sa femme et son nouveau-né dormir seuls dans leur maison quand il part effectuer son service de nuit.
Il préfère qu'ils passent la nuit dans la maison de quartier. "Je ne me sentais pas bien, je ne pouvais pas travailler comme d'habitude", explique-t-il. "Ce qui s'est passé, c'est plus que de la violence, c'est de la xénophobie. Des gens sont tués !"
Comme John Chirwa, beaucoup d'autres déplacés envisagent désormais sérieusement de rentrer au pays.
"Si j'insiste ici, peut-être que je vais y perdre la vie", dit Harry Mrevo, un autre Malawite. "J'attends de voir s'ils (les autorités) me paient le transport pour décider si je rentre".
Les ambassades du Zimbabwe, du Malawi et du Mozambique ont pris langue avec l'Organisations internationales pour les migrations (OIM) pour organiser le rapatriement de leurs ressortissants. Le Nigeria a prévu de faire rentrer cette semaine 600 de ses citoyens au pays.
Dans la maison de quartier de Katlehong, trois diplomates zimbabwéens relèvent déjà les noms et les numéros de téléphones de "leurs" éventuels candidats au départ.
Le père de Beverlyn Nyamakwenje n'a pas encore pris de décision.
"J'ai peur pour ma vie", confie toutefois la jeune femme. "Pourquoi ils nous ont fait ça ? Qu'est-ce qu'on a fait de mal ?"