La démolition des barraques sur la plage de Xwlacodji, décidée par le préfet, rentre dans le projet de "déguerpissements", ainsi que sont surnommées ces opérations de démolition préalables au développement urbain, voulues par le président béninois Patrice Talon.
Certes, ce vieux quartier de pêcheurs avait mauvaise réputation. Il abritait des "ghettos", où se retrouvaient "les fumeurs de drogue et les dangereux de Cotonou", explique à l'AFP, l'un des chefs traditionnels de la communauté, Anani Agboéssi.
Il avait d'ailleurs demandé de l'aide aux autorités pour détruire ces édifices. Mais le plan n'est pas allé comme prévu et "une fois les ghettos rasés, ils ont fait foncer les bulldozers sur nous et se sont mis à détruire les habitations", se désespère le chef du quartier.
Les habitants n'avaient pas de titres de propriété et ont "assisté impuissants au spectacle" de démolition de leurs logements, touchant environ 120 foyers selon eux.
"Maintenant les gens vivent sous l'embrun marin", aux quatre vents chariés par l'océan Atlantique.
Kokou Mathieu Folly est l'un d'eux. Le pêcheur de 47 ans retient difficilement ses larmes. Il est assis sur un petit mur, tout ce qui est resté de sa douche.
Sans domicile
"Avec mes cinq enfants, nous dormons dans l'école pour le moment, exposés aux intempéries en attendant une amélioration de notre situation", raconte-t-il à l'AFP.
Colette Gnacadja, élue locale de Xwlacodji, est en colère contre le ministère du Cadre de vie. Elle dit avoir été dupée. "Ils nous ont bernés. J'ai assisté à toutes les réunions. Il n'a jamais été question de toucher les habitations".
Comme bien des habitants, elle est toujours sous le choc. Son père, jadis propriétaire, est devenu "un homme sans domicile", explique l'élue, furieuse. "On dit que la terre appartient aux premiers occupants. Pourquoi nous dérange-t-on autant alors que ce sont nos aïeux qui se sont installés ici ?", s'interroge-t-elle. "Xwlacodji est un quartier historique".
En 2012, le gouvernement précédent avait déjà procédé à un "déguerpissement".
"On nous avait dit alors qu'il y aurait des buildings et que nous serions relogés ailleurs. Voilà les fameux buildings", ironise Abla Yaovi, 65 ans, la doyenne de la communauté, montrant du doigt les amas de briques et de barres de fer.
Revendeuse de poisson, veuve avec neuf enfants à charge, la vieille dame a la démarche pénible. En 2012, elle avait perdu sa maison en brique, seul bien hérité de son mari. Elle s'était ensuite reconstruit une baraque en "matériaux précaires", "grâce à la générosité des habitants du quartier".
Aujourd'hui, la sexagénaire dort à la belle étoile.
Dignité
La Fédération des habitants de zones de taudis/bidonvilles, un mouvement de pauvres urbains luttant pour la dignité et le développement en Afrique de l'Ouest, a réagi vivement et condamné le manque de solutions de relogement et de notifications préalables de la part des autorités.
"Les gens sont livrés à eux-mêmes sur la plage", se désole Moïse Awonlonsou, représentant de la Fédération au Bénin. "Ce n'est pas la meilleure manière de développer un quartier", assure-t-il, regrettant que les populations n'aient pas été associées à la recherche de solutions.
Depuis son élection en avril 2016, le président Talon veut transformer le développement urbain et l'aménagement de l'habitat un peu partout au Benin, mais la question du relogement a été souvent négligée.
Et sans réaménagement, les quartiers ou les bords de route rasés de leurs demeures illégales voient leurs habitants revenir s'installer et reconstruire un habitat précaire, après le passage des bulldozers - comme cela a été le cas à Xwlacodji après les "déguerpissements" de 2012.
Urbaniste et professeure à l'université de Genève, Armelle Choplin connaît très bien le quartier Xwlacodji pour y avoir travaillé et, selon elle, cette nouvelle opération de démolition et d'expulsion est "dangereuse pour l'équilibre" social de Cotonou.
Mme Choplin rappelle que les Xwla, qui ont donné leur nom au quartier, s'y sont installés depuis plus de cent ans et étaient parmi les premiers habitants de la capitale économique qui compte désormais quelque 1,2 million d'habitants.
"C'est une partie de l'histoire et de l'identité de Cotonou qu'on est en train de détruire", s'alarme-t-elle.