"Ces élections n'auront pas une crédibilité optimale", estime ainsi l'universitaire camerounais Richard Makon, qui juge que les conditions actuelles ne permettent pas leur "tenue sereine".
Pour lui, "les défis sécuritaires restent immenses, comme dans les régions du Nord-ouest et du Sud-Ouest", où le conflit meurtrier qui oppose indépendantistes anglophones à l'armée et la police a tué plus de 3.000 personnes en deux ans, selon des ONG. Ces deux provinces abritent environ 16% de la population camerounaise.
Ailleurs, dans l'extrême-nord, une des régions les plus pauvres où vivent environ un dixième des Camerounais, les jihadistes du groupe nigérian Boko Haram, bien qu'affaiblis, poursuivent leurs attaques et risquent de dissuader là aussi les gens de se rendre aux urnes.
Et dans le Sud, jusqu'ici épargné par les violences, des habitants de l'ethnie locale s'en sont récemment pris à des Camerounais venus de l'Ouest, incendiant leurs commerces et blessant plusieurs personnes, sans que les autorités ne réagissent.
Pourtant, le chef de l'Etat a décidé dimanche de la tenue le 9 février des législatives et des municipales. Elus en 2013, les députés et les conseillers municipaux devaient achever leur mandat en 2018, mais celui-ci a été prorogé à deux reprises.
Si l'élection présidentielle s'est tenue en 2018, conduisant à la réélection de M. Biya, 86 ans dont 37 au pouvoir, la participation avait chuté dans les régions anglophones.
Retomber dans la chaos ?
En outre, la victoire de M. Biya en 2018 a déclenché une grave crise politique.
Le candidat arrivé deuxième, Maurice Kamto, avait immédiatement contesté le résultat, lors de marches de son parti, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC). Arrêté à la suite de ces manifestations pacifiques, M. Kamto a été remis en liberté neuf mois après, début octobre, sur ordre de M. Biya notamment après des pressions internationales, française et américaine au premier chef.
Mais depuis plusieurs mois, le MRC pose comme préalable à des élections le retour définitif de la paix dans les régions anglophones et l'adoption d'un "système électoral consensuel".
Mardi matin, deux jours après l'annonce du scrutin, le parti de M. Kamto, sollicité par la presse, n'avait toujours pas dit officiellement s'il y participerait le 9 février, même si certains membres déclarent avoir l'intention d'être candidats.
"Le vote sera l'occasion pour le Cameroun de retomber dans le chaos des contestations post-électorales", prévient Me Emmanuel Simh, avocat et 3e vice-président du MRC. "Il va consacrer la partition du pays puisqu'on aura, d'une part, les régions francophones où les populations auront la possibilité de se rendre au vote et, d'autre part, les régions anglophones où il sera impossible de le faire", affirme-t-il.
Dialogue sans suite
Début octobre, le Cameroun avait organisé un Grand Dialogue national pour tenter de résoudre la crise séparatiste anglophone. Là aussi après des pressions internationales. Les principaux groupes indépendantistes l'avaient cependant boycotté et les affrontements n'ont pas cessé depuis.
Une des recommandations, l'octroi d'un "statut spécial" pour les régions anglophones, doit encore être entérinée par le Parlement, qui ne s'est, à ce jour, toujours pas penché sur la question.
L'annonce de la date du scrutin alors que "les résolutions du grand dialogue national n'ont pas connu un début de prise en compte" a "surpris", assure M. Makon, ajoutant: "il est un peu difficile d'envisager que les élections puissent se tenir dans les meilleures conditions et produire des élus légitimes et acceptés par la population".
A l'opposé, un autre universitaire camerounais, Laurent Mbassi, pense que la désignation de nouveaux élus "peut contribuer à atténuer les crises".
"Les conditions pour faire les élections sont réunies", tranche Grégoire Owona, secrétaire général adjoint du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) de M. Biya, sur la radio d'Etat CRTV. Avec 148 députés sur 180, le RDPC dispose d'une majorité écrasante à l'Assemblée sortante.
Malgré leurs doutes, les partis d'opposition "n'ont pas de choix: ils doivent aller aux élections car, s'ils n'y vont pas, ils seront exclus de la décision politique pendant 5 ans", avertit M. Makon.
Et selon lui, "le RDPC n'aura plus de majorité écrasante" après le scrutin de février, en raison de "l'implantation du MRC et la montée en puissance des partis comme le PCRN (Parti camerounais pour la réconciliation nationale) de Cabral Libii", jeune opposant arrivé troisième à la présidentielle de 2018.