"Les Malgaches ont cette habitude de recourir aux remèdes de grand-mère à chaque épidémie, c'est une tradition chez nous", professe "Madame" Nirina, 55 ans.
"Il faut ingurgiter des produit piquants (...) pour se protéger du coronavirus", explique-t-elle de son ton volontiers péremptoire. "Le mélange de gingembre, de citron et d'oignon dans une infusion donnera du fil à retordre au virus".
Dimanche soir, le président Andry Rajoelina a ordonné le confinement des deux principales villes de la Grande île, la capitale Antananarivo et Toamasina (est), afin d'y ralentir la progression de l'épidémie de Covid-19.
A ce jour, 19 cas ont été officiellement confirmés par les autorités.
Mais à en juger par la fréquentation des rues de la capitale, ses consignes sont restées largement ignorées d'une population qui n'a guère d'autre choix que d'aller travailler pour survivre. Au contraire même, les étals du marché d'Ambodivona bruissent ces jours-ci d'une rare effervescence.
Le nouveau coronavirus y a semble-t-il dopé l'esprit d'entreprise d'une ribambelle de petits vendeurs, bien décidés à faire de ce péril sanitaire meurtrier une aubaine commerciale.
Prenez Olivier Toky Randrianandrianina, par exemple.
"Samedi, après la déclaration du président sur le premier cas de coranovirus, tout le monde s'est rué vers les citrons et le gingembre", se souvient ce commerçant de 30 ans. "Alors moi aussi, j'ai passé commande de citrons à mes fournisseurs pour approvisionner mon commerce".
- 'Maladie de Vazaha' -
Bingo ! En l'espace de quelques jours, le prix de l'agrume a triplé à 6.000 ariary (1,5 euro) le kilo. Le cours du gingembre a fait mieux encore, multiplié par dix...
"Si tout le monde se précipite pour acheter du citron, à mon avis ça veut dire que ça marche", veut croire Gervais Ramiarinjatovo, qui vient d'en faire le plein, "le citron (...) c'est comme un médicament".
Homme d'affaires avant tout, Toky Randrianandrianina avoue se moquer éperdument de l'efficacité de ses potions.
"Ca ne m'intéresse pas, je ne fais que vendre ces produits", dit-il sans détour. "De toute façon, je ne je ne crois pas trop à ce coronavirus, c'est une maladie de +Vazaha+ (les Occidentaux en malgache) et de Chinois...".
Non loin de son étal, Gino Andosoa Rasolofonianina, 28 ans, s'est lancé avec le même appétit sur un autre créneau prometteur, celui des plantes "désinfectantes".
Il vend donc des feuilles des arbres "ravitsara" (cinnamomum camphora) et "kininina fotsy" (eucalyptus grandis).
"Notre commerce de téléphones ne marche plus depuis le coronavirus, alors on s'est tourné vers les produits qui cartonnent", plaide le jeune homme, "on a vu sur Facebook des posts qui expliquent les vertus de ces plantes, on a pensé que c'était bien d'y investir".
Usant du même bagout avec lequel il détaillait auparavant les performances de ses smartphones dernier cri, le voilà prêt à vous livrer la recette de ses herbes magiques.
- Ordonnance présidentielle -
"On fait bouillir de l'eau, on y ajoute cinq feuilles de +ravitsara+ et autant de +kininina fotsy+, puis on diffuse dans la maison la vapeur qui s'en dégage ou on boit l'eau en tant que thé", détaille Gino Andosoa Rasolofonianina.
"Il ne s'agit pas d'un remède contre le coronavirus", nuance-t-il toutefois à l'intention de ses clients, "mais d'une protection en tant que produit antiseptique".
Dans son dernier discours, le président Rajoelina a lui-même encouragé tout ce petit commerce d'opportunité en s'autorisant une ordonnance toute personnelle.
"On va utiliser tous les moyens pour renforcer les anticorps des personnes porteuses de coranovirus", a-t-il lancé. "On va leur faire une inhalation de vapeurs d'huile essentielle de ravitsara. On va aussi leur donner des aliments à fort taux calorifique (...) tout ça avec des médicaments".
L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) s'est montrée très réservée sur ces antidotes locaux.
"Le nouveau coronavirus n'est pas la grippe (...) les bonnes idées de grand-mère du passé doivent être remises en question", tempère sa représentante locale, Charlotte Faty Ndiaye. "Aucune étude scientifique n'a encore démontré l'efficacité d'une quelconque plante médicinale à Madagascar".
Forte de tout son savoir-faire, Madame Nirina n'en a cure.
"Vu qu'il n'y a pas de remède à cette épidémie, les Malgaches pensent qu'ils n'ont rien à perdre en essayant ces remèdes", estime-t-elle. "Au pire ils perdent de l'argent, au mieux ils s'immunisent contre le virus".