"Nous allons perdre 75.000, 80.000 ou 100.000 personnes", a dit le président américain dimanche sur Fox, en arguant que la mise à l'arrêt de l'économie avait permis d'éviter un bilan qui aurait autrement atteint "au minimum" 1,5 million de morts américains.
En réalité, l'estimation est sans doute basse, même sans inclure une deuxième vague dans le pays qui compte un tiers des cas de coronavirus recensés dans le monde.
La Maison Blanche table elle-même sur 100.000 à 240.000 morts. Les Etats-Unis en sont déjà à 68.000 morts et détectent depuis début avril de l'ordre de 30.000 nouveaux cas chaque jour. La mécanique d'une épidémie rend inéluctable le franchissement de plusieurs grands caps symboliques.
"Mon estimation personnelle est qu'on atteindra 100.000 morts début juin", dit à l'AFP Nicholas Reich, professeur de biostatistiques à l'université du Massachusetts, dont le laboratoire a fusionné plusieurs grands modèles d'autres institutions pour tracer une trajectoire moyenne. Selon cette courbe moyenne, il faut s'attendre à 90.000 morts d'ici le 23 mai; une mise à jour prochaine ira jusqu'à fin mai.
"Cela pourrait intervenir après ou un peu avant. Mais nous observons de façon assez stable entre 5 et 10.000 morts par semaine, il y a peu de raisons que cela change rapidement".
Sur neuf modèles cités le 1er mai par les Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC), au moins trois prédisent 100.000 morts d'ici quatre semaines. Peu de modèles vont au-delà de quatre semaines, étant données les incertitudes.
Certains sont optimistes: la prévision IHME de l'Université de Washington prévoit 72.000 morts au 1er juin, mais ses auteurs ont annoncé qu'ils allaient revoir leur méthode.
D'autres estiment que les 100.000 morts seront largement dépassés au 1er juin, notamment deux modèles de l'université Columbia à New York. Un modèle du Massachusetts Institute of Technology prévoit 113.000 morts au 1er juin. Et attention: ces différents chiffres sont entourés de grands intervalles d'erreur, parfois de dizaines de milliers de décès.
- Un grand pays -
Les épidémiologistes répètent qu'aucun modèle ne doit être utilisé seul, puisque tous font des hypothèses différentes.
Le plus difficile à modéliser est le comportement des gens dans les prochains mois: sortiront-ils masqués? Combien télétravailleront? Les sorties "non essentielles", dans les magasins de vêtements ou les restaurants, reviendront-elles au niveau précédant la pandémie, ou les gens sortiront-ils moins de chez eux de façon pérenne; et si oui, de combien?
"Nous sommes à un point d'inflexion, avec des réouvertures dans certains Etats mais pas d'autres", ajoute Nicholas Reich. "Cela rajoute un niveau d'incertitude".
"Il s'agit d'un système complexe avec beaucoup de comportements humains qui changent tous les jours".
La réalité de l'épidémie américaine est que des Etats ont pris le relais des gros foyers initiaux comme New York et le New Jersey où les contagions baissent. Au Texas, dans l'Illinois ou encore dans la région de Washington, le nombre de cas nouveaux est en train d'augmenter. En Californie et en Floride, le nombre stagne.
"Il n'y a pas une épidémie unique aux Etats-Unis, elle évolue de manière différente selon les endroits du pays", explique à l'AFP William Hanage, épidémiologiste à Harvard.
Pour montrer que zones rurales et urbaines, ou du nord ou du sud, ne se comportaient pas pareillement, des chercheurs à Philadelphie ont modélisé la pandémie dans 211 comtés américains.
"Les épicentres de demain ne seront probablement pas les mêmes épicentres qu'aujourd'hui", dit à l'AFP David Rubin, de l'hôpital pour enfants de Philadelphie et professeur à l'université de Pennsylvanie.
Son équipe a identifié la chaleur comme un facteur modérateur de la pandémie, ce qui pourrait aider, "mais la température à elle seule ne vous sauvera pas", prévient-il, même au Texas où restaurants et centres commerciaux viennent de rouvrir. "Les morts vont continuer".