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Les femmes continuent d'être victimes des crimes "d'honneur" en zones tribales au Pakistan


Des femmes pakistanaises priant à la mosquée Badshahi de Lahore, au Pakistan, le 24 juin 2016. (AP Photo/K.M. Chaudary)
Des femmes pakistanaises priant à la mosquée Badshahi de Lahore, au Pakistan, le 24 juin 2016. (AP Photo/K.M. Chaudary)

Cinq personnes, dont le cousin de deux victimes et le père de l'une d'elles, ont été arrêtées dimanche dernier pour les meurtres des jeunes femmes. Une nouvelle affaire de fémicide qui s'ajoute à une longue liste de crimes sexistes au Pakistan.

Les deux cousines, âgées de 22 et 24 ans, ont été abattues et enterrées le 14 mai dans un village isolé de la province du Waziristan, près de la frontière afghane, selon le policier Muhammad Nawaz Khan qui enquête sur l'affaire. Ses propos ont été relayés par plusieurs médias, dont CNN.

Dans une vidéo, les victimes apparaissent avec un homme qui les embrasse en présence d'une autre femme riant, qui serait son épouse. Lundi, la police a déclaré avoir arrêté cet homme de 28 ans pour indécence.

Dans un communiqué, la Commission des droits humains du Pakistan (HRCP) a déclaré que de nombreuses personnes qui avaient condamné ces féminicides sur les réseaux sociaux avaient été "menacées ou ridiculisées". Elle a appelé les autorités à "faire comprendre à tous qu’elle ne tolérera aucun soutien à cette pratique criminelle odieuse."

"L’administration locale doit prendre toutes les mesures possibles pour traduire en justice l’agresseur", a déclaré la Commission.

Un des suspects des meurtres de deux jeunes femmes de sa famille au Waziristan, Pakistan, 21 mai 2020 (VOA)
Un des suspects des meurtres de deux jeunes femmes de sa famille au Waziristan, Pakistan, 21 mai 2020 (VOA)

Selon divers témoignages recueillis par la presse locale, les meurtriers n'ont généralement aucune peine à avouer les faits. Ils les reconnaissent même souvent, non sans fierté, car ils se savent soutenus par une importante partie de la société ne jurant que par les lois tribales et approuvant encore ce type de tradition.

Et s'ils n'ignorent pas qu'ils risquent "la perpétuité", ils savent également qu'elle pourrait se résumer à une très courte période dépassant à peine plus de quelques mois d'incarcération, les sorties de prison prématurées dans ces affaires étant beaucoup moins médiatisées que les condamnations.

Par ailleurs, la majorité des féminicides ne sont pas rapportés dans plusieurs régions où les pratiques traditionnelles perdurent tout en étant ignorées ou négligées. La police effectue quelques rares arrestations qui sont, elles, aussitôt médiatisées lors de points de presse.

En septembre dernier, trois hommes ont été condamnés à la prison à perpétuité pour avoir également assassiné des femmes qui avaient été filmées alors qu'elles assistaient à un mariage. Une fois classé, ce type de dossier n'intéresse plus les foules.

Une autre affaire avait fait grand bruit en 2012, toujours à partir d'une vidéo, montrant cinq jeunes femmes voilées sagement assises qui applaudissaient devant deux jeunes frères en train de danser, dans la province du Kohistan. Le 30 mai de cette année, les jeunes femmes ont toutes été tuées, sur ordre d'une jirga, ou conseil de village.

Quand la complicité s'immisce dans la tradition du pardon

Environ un millier de femmes sont assassinées chaque année dans des crimes dits "d'honneur". Dans tous les cas, la victime est tuée par un parent, voire plusieurs comme notamment pour les effroyables meurtres collectifs par lapidation encore perpétrés dans certaines regions pakistanaises, afghanes et en Irak.

Les auteurs de ces crimes sont souvent libérés en raison d'une jurisprudence qui leur permet de bénéficier d'un pardon si un membre de la famille y consent. Une lacune issue de la tradition tribale encourageant l'impunité, d'autant plus que c'est généralement la famille elle-même qui, se disant déshonorée, encourage le crime en question.

Une loi d'octobre 2016 censée combler cette lacune du droit, permet de poursuivre et d'imposer la prison à vie (ou 25 ans) aux auteurs de "crimes d'honneur" même en cas de pardon de la famille de la victime. Sous cette nouvelle dispensation, la grâce d'un parent n'a, légalement, que le pouvoir de faire éviter au condamné la peine capitale, encore en vigueur au Pakistan.

L'assemblée nationale avait adopté cette loi trois mois après le meurtre d'une starlette des réseaux sociaux, Qandeel Baloch, étranglée par son frère. Une affaire qui avait généré un débat national sur les fémicides intrafamiliaux, tandis que le meurtrier déclarait n'éprouver aucun regret, à l'instar de la plupart des hommes commettant ces crimes.

Les meurtriers s'en sortent souvent vis-à-vis d'un large pan de la société pakistanaise en pointant une disposition du droit islamique qui prévoit que les hommes tuant des femmes de leur famille peuvent échapper à toute condamnation si les proches leur pardonnent en échange d'argent.

Des femmes réduites à la mendicité devant une boulangerie, à Peshawar, au Pakistan, le 24 avril 2020. (AP Photo/Muhammad Sajjad)
Des femmes réduites à la mendicité devant une boulangerie, à Peshawar, au Pakistan, le 24 avril 2020. (AP Photo/Muhammad Sajjad)

Un fléau si peu dénoncé

Le Pakistan est l'un des pays les plus dangereux au monde pour la sécurité des femmes. Dans certaines régions tribales règne une sorte d'anarchie endémique le plus souvent dirigée contre les femmes et les filles, constamment opprimées.

Malgré la nouvelle loi contre les féminicides intrafamiliaux, des centaines d'hommes perpétrant ces meurtres ne sont pas inquiétés.

En mai 2019, Human Rights Watch avait émis un avertissement sur le rôle de la police dans les affaires de violence sexuelle, affirmant que certains agents harcelaient et intimidaient les personnes qui portaient plainte.

L’inégalité entre les genres imprégnant non seulement la société pakistanaise, mais aussi la police et le système judiciaire, selon HRW, est un facteur majeur dans la réticence de nombreuses victimes à se manifester.

L'Ong a constaté dans son Rapport mondial de 2019 que la violence contre les femmes et les filles -- y compris les viols, meurtres dits d’honneur, attaques à l’acide, ainsi que la violence domestique et le mariage forcé -- demeure un grave problème au Pakistan.

Kulsoom, 33 ans, mère de six enfants, survivante d’une attaque à l’acide par son mari en 2008, Karachi, 16 décembre 2011. (Reuters)
Kulsoom, 33 ans, mère de six enfants, survivante d’une attaque à l’acide par son mari en 2008, Karachi, 16 décembre 2011. (Reuters)

"Il est très difficile pour les femmes d’accéder à la justice parce que nous n’avons pas de système judiciaire approprié", avait déclaré la directrice de l’Association pakistanaise des droits des femmes, Shaista Bukhari en juin 2019, alors que les autorités judiciaires annonçaient la mise en place d'un millier de tribunaux consacrés à la lutte contre la violence sexiste.

Le juge en chef Asif Saeed Khosa avait détaillé les plans des tribunaux spéciaux de toutes les provinces, précisant qu'un dispositif particulier permettrait aux victimes et aux témoins de s’exprimer sans crainte et en toute confidentialité.

En initiant ces tribunaux pour aborder les affaires spécifiquement liées à la violence basée sur le genre, "les femmes auront la confiance et la force nécessaires pour dénoncer" cette violence et pourront ainsi s’y opposer, avait acquiescé Mme Bukhari.

Une justice limitée par ses propres règles

Toujours est-il que la mise en place de ces tribunaux reste confrontée aux problèmes de corruption et de manque de suivi des dossiers, qui, sans la mobilisation des moyens financiers et ressources nécessaires telles que les compétences requises, ne peuvent garantir une justice équitable aux victimes.

Ces facteurs potentiels combinés aux remises de peines officielles ou officieuses moyennant une influence quelconque, ne garantissent pas que les décisions de justice soient appliquées à la lettre.

L'exemple du tueur en série ayant amassé le plus de victimes illustre en effet les limites de la justice quant au principe de perpétuité. Luis Garavito, qui, en 1999 avait admis avoir violé, torturé et tué au moins 138 enfants en Colombie, a vu sa peine réduite à 22 ans pour avoir collaboré avec la police de son pays.

S'il sortait en 2021 comme prévu, il aura purgé l'équivalent de seulement deux mois de prison pour chaque enfant massacré et tué. Un raisonnement cartésien qu'il nous sera encore plus douloureux d'appliquer aux peines des criminels de guerre.

Qu'à cela ne tienne, en attendant que les rouages de cette nouvelle politique de protection des femmes et des filles soit parfaitement huilée, le cauchemar des Pakistanaises est en effet loin d'être terminé.

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    Nathalie Barge

    Après une carrière dans la communication en France et en Angleterre, Nathalie Barge a pratiqué le photojournalisme dans plus de 40 pays dont 17 en Afrique, devenant reporter de guerre indépendante. Lors de ses visites en Sierra Leone pendant la guerre civile, elle a mêlé l'écriture à ses prises de vue, relatant des témoignages de victimes et dénonçant le trafic du diamant et l'utilisation des enfants soldats. Grace à sa détermination, Nathalie est entrée dans les mines de diamants de Tongo contrôlées par les rebelles du RUF, et lors de la crise des otages onusiens en mai 2000, elle s'est rendue à Freetown, qui se vidait de ses habitants à l'approche des rebelles. Nathalie Barge a rejoint la VOA en 2008.

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