Les cas d’abus sexuels sur des enfants sont en augmentation au Cameroun, selon les associations et les avocats qui mènent la lutte contre ce phénomène qui touche les enfants des deux sexes. Des rapports d’activités de certaines associations révèlent que même des enfants de 6 mois ont été victimes d'abus sexuels ces derniers mois.
Les autorités camerounaises, en collaboration avec des associations et des partenaires extérieurs tels que l'Unicef, ont pris ces dernières années des mesures pour endiguer cette vague d'abus contre les mineurs. Mais de nombreuses complexités empêchent encore que justice soit rendue pour les victimes.
Il y a d’abord la loi du silence au sein des familles, à cause des pressions sociales.
"Près de 90% de ces situations de violences ont été commises dans le cercle familial, ou amical ou encore par des gens qui sont proches de ces enfants", confie Rabeantoandro Haingo Manga Ada, directrice du Centre vie et femmes au sein de l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes (ALVF).
Au centre d'écoute des enfants de l’ALVF, plus d’une quarantaine de cas d’abus sexuels ont été enregistrés rien qu'entre mars et juin 2020.
Jean Pierre Edjoa, directeur de la Protection sociale de l'enfance au ministère des Affaires sociales, dit avoir assisté, impuissant, à "des désistements spectaculaires de la famille devant la police et la gendarmerie". En effet, témoigne-t-il, il arrive régulièrement qu’une famille déclare que l’enfant a été abusé, mais "le lendemain elle vous dit que le problème n’existe plus".
Cette situation, que ce haut cadre attribue "aux intimidations et pressions des bourreaux", prive de nombreux enfants abusés de leurs droits.
Il y a trois ans, l’Unicef et l'ALVF ont mis en place un programme spécifique de prise en charge des enfants victimes de violences sexuelles. Le programme est sous la houlette du Centre vie et femmes de l'ALVF, situé au quartier Tsinga à, Yaoundé.
Trois assistantes sociales et une juriste coordonnent le processus de prise en charge des enfants et des familles qui viennent dénoncer des cas d’abus sexuels. "La confidentialité, la gratuité des services sont nos maitres mots", précise Rabeantoandro Haingo Manga Ada.
Le personnel travaille avec une avocate bénévole pour l’appui juridique. Mais même quand la famille est prête à témoigner, la majorité de cas d’abus sexuels sur les mineurs portés devant la police ou la gendarmerie au Cameroun n’aboutissent pas à un procès.
Pourtant selon la loi, les peines requises pour les cas d’abus, de viol des enfants ou de rapports sexuels avec mineur(e) peuvent atteindre jusqu'à 25 ans d'emprisonnement ferme.
Dans sa carrière d’avocat, Diane Tchamologne s’est spécialisée sur la défense des droits des femmes, des personnes handicapées et des enfants victimes d’atteintes sexuelles. A ce titre, elle connaît de nombreux cas qui sont encore au stade préliminaire de l'information judiciaire.
"Il est important de former aussi bien au niveau de la police, de la justice pour voir comment on encadre ce genre d'enfants, comment on approche ce genre d'enfants, et quels sont les questions qu'on peut leur poser pour pouvoir arriver au but qu'on recherche pour ne pas les traumatiser davantage", plaide-t-elle.
Le Cameroun a créé, en 2016, une plateforme nationale de protection de l’enfance et mis sur pied depuis deux ans, en partenariat avec l’Unicef, des procédures plus adaptées au contexte social. L'objectif, selon les autorités, est de mieux coordonner la prévention, le signalement, la prise en charge et la réinsertion des enfants victimes des violences.
Car selon le directeur Jean Pierre Edjoa, les poursuites judiciaires ne s'ont qu'un aspect de la prise en charge. Il faut aussi faciliter la réinsertion sociale des enfants victimes des abus sexuels.
"Même si la famille désiste, l’Etat a cette force-là de faire prévaloir non seulement les droits des enfants, mais aussi leur équilibre et leur remise sur la sellette sociale", conclut-il.