Ces deux enfants ont été "placés en rétention administrative en compagnie d'adultes (qui n'étaient pas de leur famille, ndlr) et renvoyés expéditivement vers les Comores", ce qui "n’a pu qu'engendrer une situation de stress et d'angoisse et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes pour leur psychisme", a estimé la cour qui siège à Strasbourg.
Le bras judiciaire du Conseil de l'Europe était saisi par le père des deux enfants qui réside à Mayotte depuis 1994 de manière régulière avec une carte de séjour temporaire renouvelée.
"La condamnation de la France est particulièrement sévère et illustre l'arbitraire des éloignements d'étrangers en outre-mer", a commenté sur Twitter le spécialiste du droit européen Nicolas Hervieu, soulignant toutefois qu'"il aura fallu sept ans et de multiples efforts" pour en arriver à ce constat de la CEDH.
Nés en 2008 et 2010, les deux enfants, également requérants, ont vu le jour à Mayotte. Leur mère comorienne, en situation irrégulière, a été renvoyée aux Comores en 2011 avec eux, mais elle est ensuite revenue à Mayotte après avoir confié ses enfants à leur grand-mère.
En novembre 2013, les deux enfants ont refait le trajet vers Mayotte "à bord d'une embarcation de fortune" dont les 17 passagers ont été interpellés en mer par les autorités françaises, toujours selon la cour.
Ils ont été rattachés administrativement à l'un de ces passagers et renvoyés le jour même aux Comores, sans que leur père n'ait pu prendre contact avec eux.
"L’ensemble des circonstances particulières conduit la Cour à juger que l'éloignement des deux enfants, d’un très jeune âge, qu’aucun adulte ne connaissait ni n’assistait, a été décidé et mis en œuvre sans leur accorder la garantie d’un examen raisonnable et objectif de leur situation", a résumé la CEDH.
La France devra verser 22.500 euros au père et aux deux enfants pour dommage moral, a jugé la CEDH.
Le Défenseur des Droits a salué, dans un communiqué, l'arrêt de la CEDH.
Déplorant "depuis plusieurs années que Mayotte reste une terre d'exception où l'enfermement des enfants est la règle et où aucune véritable alternative à la rétention n'est organisée", il a demandé à ce que "cesse immédiatement" le "rattachement fictif d'enfants à des tiers" en vue de leur expulsion.
"Totalement exceptionnel"
Au total, les juges de la cour ont considéré que, dans cette affaire, la France avait commis sept violations de différents articles de la Convention européenne des droits de l'Homme, notamment ceux sur l'interdiction des traitements inhumains et dégradants, sur le droit à la liberté et à la sûreté ou sur le droit au respect de la vie privée et familiale.
"Nous sommes face à une septuple violation de la Convention, ce qui est totalement exceptionnel et qui montre l'anormalité de la situation à Mayotte, aujourd'hui encore d'actualité", a réagi Me Patrice Spinosi, avocat de la famille auprès de la CEDH.
Les deux enfants vivent désormais à Mayotte "sous la garde de leur père comme cela aurait dû être le cas depuis le début", a expliqué l'avocat.
Il s'agit de la troisième condamnation de la France par la CEDH depuis début juin, après celle concernant des militants pro-Palestiniens qui avaient appelé au boycott de produits israéliens et une autre pour n'avoir pas pris des mesures suffisantes pour protéger une petite fille morte sous les coups de ses parents.
En 2019, plus de 27.000 personnes ont été reconduites à la frontière à Mayotte, dont 99% vers les Comores voisines, selon les autorités préfectorales.
Dans l'archipel de 374 km2, devenu département français en 2011, 48% des 256.000 habitants sont des étrangers selon l'Insee, dont 95% sont Comoriens. Ces derniers sont nombreux à tenter la traversée depuis l'île comorienne d'Anjouan, à 70 km des côtes de Mayotte.