Le 4 novembre, le Premier ministre Abiy Ahmed a décrété l'état d'urgence et lancé une opération militaire contre le Front de libération des Peuples du Tigré (TPLF), parti qui dirige cette région septentrionale et défie depuis plusieurs mois l'autorité du gouvernement fédéral.
Zeleke Alabachew s'apprête à rejoindre des milliers de miliciens amhara, déjà déployés environ 150 km plus au nord, à la frontière avec le Tigré, selon Mulualem Gemdhin, conseiller du gouvernement de la région amhara.
"Les miliciens d'ici sont environ 200", estime Zekele dans son champ de blé de sa ville natale de Tekeldengy, son vieux fusil suspendu à l'épaule par un bretelle, sur laquelle est inscrit "Real Madrid".
"Nous sommes fin prêts et parés à partir", dit-il, pour aider les forces fédérales éthiopiennes et régionales amhara à répondre aux attaques menées début novembre par les forces du TPLF contre deux bases militaires éthiopiennes au Tigré.
Des attaques qui ont mis le feu à un conflit qui couvait depuis plusieurs mois, selon Abiy Ahmed, mais que le TPLF affirme inventées pour justifier "l'invasion" de la région.
De vieux différends territoriaux opposent les Amhara (2e ethnie la plus nombreuse en Ethiopie après les Oromo) et les Tigréens (6% de la population du pays) qui se sont parfois violemment affrontés dans le passé.
Ce qui, aux yeux des analystes, fait de la région une poudrière susceptible de faire imploser l'Ethiopie, 2e pays le plus peuplé d'Afrique (plus de 100 millions d'habitants) et mosaïque de peuples rassemblés au sein d'un "fédéralisme ethnique".
Poudrière
"Stratégique", la question territoriale est "présente dans tous les coeurs et toutes les têtes", notamment ceux des miliciens amhara en route vers la frontière avec le Tigré, confirme Melkamu Shumye, un homme politique amhara d'opposition.
La volonté de régler de vieux différends pourrait miner à la fois l'objectif affiché des autorités fédérales éthiopiennes d'empêcher le conflit de déborder hors du Tigré et les efforts effrénés des diplomates pour un arrêt rapide des hostilités.
"Toute implication de forces régulières ou irrégulières amhara dans le conflit dans l'Ouest du Tigré signifie qu'il est probable que certains vont tenter de reprendre possession de territoires dans la zone", explique William Davison de l'International Crisis Group (ICG).
"Cela va aggraver le conflit, conduire à des combats entre éléments amhara et tigréens et rendre moins probable l'acceptation d'un cessez-le-feu par le TPLF".
Le TPLF a mené la coalition qui a renversé en 1991 le régime militaro-marxiste du dictateur Mengistu Haïlé Mariam. Il a ensuite dominé les structures de pouvoir en Ethiopie pendant presque 30 ans, jusqu'à ce que M. Abiy, un Oromo, devienne Premier ministre en 2018, à la faveur d'un mouvement de contestation populaire antigouvernementale dans les régions oromo et amhara.
Les amhara accusent le TPLF d'avoir, lors de son avancée vers Addis Abeba en 1991, annexé des territoires qu'ils estiment leurs, principalement dans l'Ouest du Tigré, où les combats les plus intenses ont jusqu'ici été signalés.
Ces griefs recuits ont contribué à alimenter, en région amhara, les manifestations ayant conduit au choix de M. Abiy comme Premier ministre.
"Clique criminelle"
Ces derniers jours, les habitants de Gondar, principale ville du Nord de l'Amhara, ont donné argent et denrées pour soutenir les forces partant au combat.
"Notre objectif est de traduire devant la justice la clique criminelle (...) qui dirige le Tigré", explique Anmut Mulat, chef d'un arrondissement de la ville, à côté d'une table où sèchent des injera, de grandes crêpes typiques de la cuisine éthiopienne.
Il assure que l'animosité de la communauté amhara envers le TPLF ne s'étend pas à l'ensemble de la population tigréenne: "Nous vivons ensemble depuis très longtemps, vous ne pouvez pas nous séparer".
Un discours similaire à celui de M. Abiy qui voue aux gémonies le TPLF mais demande que les Tigréens soient distingués de leurs dirigeants.
Les Amhara donnant leur sang à Gondar ne sont pas tous d'accord sur ce sujet. Pour certains, il est clair que leur don ne doit pas aller aux Tigréens. Mais d'autres se disent heureux de savoir qu'il sauvera une vie, amhara ou tigréenne.
"Nous sommes mariés les uns avec les autres, et parents. Les Tigréens, c'est notre famille", affirme Sajin Misganaw Yohannes, un policier.