L'autorité des élections (ANE) a annoncé lundi soir que le chef de l'Etat avait recueilli la majorité absolue des suffrages exprimés dès le premier tour le 27 décembre, 53,92%, mais la Cour constitutionnelle a jusqu'au 19 janvier pour valider ce résultat après les recours annoncés par l'opposition.
Le taux de participation, qui devait légitimer véritablement un second mandat du chef de l'Etat élu une première fois en 2016, annoncé à 76,31%, ne comptabilise que 910.000 électeurs environ sur 1,8 million inscrits initialement, soit seulement un électeur en âge de voter sur deux.
Dans près de la moitié des bureaux, "le vote n'a pas pu avoir lieu ou bien les bulletins ont été détruits", a expliqué à l'AFP Théophile Momokoama, rapporteur général de l'ANE.
Mardi, dans la capitale Bangui, l'ambiance était celle d'un jour ordinaire, les uns se rendant au marché, les autres au travail. Dans le quartier Boeing, majoritairement gbaya, l'ethnie de l'ex-président François Bozizé accusé par le camp Touadéra de mener la rébellion, la population redoute de parler ouvertement du scrutin.
De son côté, la majorité présidentielle jubile. "Les résultats sont proclamés, je ne peux que m’en réjouir, comme tous ceux qui ont soutenu le président et c’est un vote de rejet de la violence", se félicite Ange-Maxime Kazagui, porte-parole du gouvernement, qui défend des élections "crédibles".
"Mascarade"
L'opposition, elle, dénonce une "mascarade" et crie à la "fraude massive".
En ne comptant que 910.000 inscrits, l'ANE a "pris la responsabilité d'ignorer avec le plus grand mépris les 947.452 Centrafricains que la violence des groupes armés a empêché de voter", soit "51% du corps électoral", a affirmé dans un communiqué Anicet Georges Dologuélé, arrivé derrière Toudéra avec 21,01% des voix.
"Je ne reconnais donc pas ces résultats provisoires et déposerai un recours auprès de la Cour constitutionnelle", a-t-il annoncé, au diapason de plusieurs des 16 candidats d'une opposition qui s'est présentée en rangs dispersés contre le sortant.
"Je ne donne aucun crédit à ces résultats, c'est une mascarade, une honte pour notre pays", a renchéri Martin Ziguélé, troisième avec 7,46%.
"Cette élection est un pas de géant en arrière par rapport à celle de 2016", estime Thierry Vircoulon, spécialiste de l’Afrique centrale à l'Institut français des relations internationales (Ifri). "Avec un taux de participation réel de 30%", "une fraude par le recours à des dérogations et des missions d'observation électorale internationales parties avant l’annonce des résultats ce scrutin est "tout sauf crédible", assène-t-il dans un entretien avec l'AFP.
L'Union africaine (UA), l'Union européenne (UE), l'ONU et la Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (CEEAC), qui ont investi des millions dans l'organisation du scrutin, ont loué "la détermination des Centrafricains à exercer leur droit de vote, malgré les nombreux obstacles" dans une déclaration conjointe "prenant note des résultats provisoires".
Les résultats des législatives, qui ont eu lieu le même jour, n'avaient pas encore été annoncés mardi à la mi-journée.
Offensive rebelle
Ces élections se sont déroulées dans un pays où une guerre civile très meurtrière, initiée en 2013 avant de perdre en intensité depuis 2018, a été avivée depuis près de trois semaines par l'annonce d'une offensive rebelle pour empêcher le scrutin.
Le 19 décembre, une coalition des principaux groupes armés qui se partagent déjà deux tiers du pays avait ainsi juré de "prendre le contrôle de tout le territoire". M. Touadéra avait immédiatement dénoncé une "tentative de coup d'Etat" sous les ordres de François Bozizé, l'ex-président renversé en 2013 et dont la candidature à la présidentielle avait été invalidée deux semaines plus tôt par la Cour constitutionnelle.
Lundi, le parquet de Bangui a annoncé l'ouverture d'une enquête contre l'ex-président notamment pour "rébellions".
Aujourd'hui, les groupes armés n'ont quasiment pas gagné de terrain, selon la mission de l'ONU en Centrafrique (Minusca) et les autorités. Ils ont fait face au déploiement de l'armée mais surtout des Casques bleus de l'ONU et de centaines de renforts bien équipés, principalement des paramilitaires russes et soldats d'élite rwandais dépêchés par Moscou et Kigali.
Les groupes armés ont ça et là attaqué et pris - le plus souvent brièvement - des villes enclavées dans les territoires qu'ils occupent, principalement à plusieurs centaines de km de Bangui.
Depuis dimanche cependant, un groupe armé occupe et contrôle partiellement Bangassou, une ville de quelque 30.000 habitants à 750 km à l'est de Bangui.