Le tribunal finlandais qui juge Gibril Massaquoi en Finlande s'est déplacé au Liberia depuis une dizaine de jours pour se rendre sur certains lieux des crimes présumés et, à partir de ce mardi, commencer plusieurs semaines d'audition de témoins, à Monrovia plutôt qu'en Finlande pour des raisons pratiques, parmi lesquelles la pandémie de Covid-19.
L'interrogatoire des témoins devait commencer dans la matinée, mais a été repoussé à l'après-midi pour des raisons "techniques", a dit à l'AFP sans plus de précision un responsable proche de la procédure.
C'est un procès finlandais et non libérien. Les gouvernements libériens successifs, y compris celui de l'actuel président George Weah, se sont gardés jusqu'à présent de répondre aux appels à la mise sur pied d'un tribunal pour les crimes commis pendant les guerres civiles de 1989-1996 et 1999-2003.
Ces guerres, parmi les plus terribles qu'ait connues l'Afrique, ont été marquées par des exactions en tous genres. Elles ont fait 250.000 morts et laissé exsangue un des pays les plus pauvres de la planète.
Quelques affaires de crimes de guerre ont été instruites en dehors du Liberia - aux Etats-Unis ou en Europe - mais aucune dans le pays même.
Gibril Massaquoi, âgé de 51 ans et surnommé à l'époque "l'Ange Gabriel", est accusé par la justice de Finlande, où il vit depuis 2008, d'une longue liste d'atrocités: meurtres, viols, actes de torture caractérisant des "crimes de guerre aggravés" et "crimes contre l'humanité aggravés", perpétrés par lui-même ou ses soldats entre 1999 et 2003.
Il était alors un haut responsable du Front révolutionnaire uni (RUF), groupe armé sierra-léonais dirigé par le caporal Foday Sankoh, proche de l'ex-chef de guerre libérien devenu président Charles Taylor.
Meurtres, viols, esclavage
M. Massaquoi a nié toute implication par la voix de ses avocats à l'ouverture de son procès le 3 février à Tampere, dans le Sud de la Finlande.
Arrêté en mars 2020 en Finlande après la mobilisation d'ONG, il encourt la prison à perpétuité.
Gibril Massaquoi doit suivre les auditions des témoins depuis sa prison de Tampere par internet. Il pourra intervenir directement ou par l'intermédiaire de ses avocats, dont l'un sera à ses côtés et l'autre à Monrovia, a dit le responsable finlandais proche de la procédure. Il s'attend à des séances "éprouvantes".
Un habitant de Yandohun, une localité aux confins du Liberia et de la Sierra Leone, où Gibril Massaquoi est accusé d'avoir sévi et où la Cour s'est rendue la semaine passée, a raconté à des correspondants de l'AFP comment son père avait été tué sous ses yeux par des hommes en armes. Le chef du village a relaté comment sa femme avait été violée devant lui.
A Kamatahun, localité proche, des habitants ont accusé Gibril Massaquoi d'avoir ordonné d'enfermer des civils, dont des enfants, dans deux bâtiments, avant de les réduire en cendres, selon le dossier d'enquête. Au moins sept femmes ont été violées et tuées à Kamatahun et les cadavres d'habitants ont été découpés en morceaux et servis à manger à Gibril Massaquoi, dit le dossier.
Le dossier comporte aussi des accusations de meurtres et de viols de masse dans la province de Lofa (Nord) et dans la capitale, ainsi que d'esclavage et de recrutement d'enfants soldats.
Tribunal finlandais, pas international
Ce dossier d'enquête n'est qu'une "matrice pour le tribunal, donc les témoins vont devoir redire devant le tribunal ce qu'ils ont vécu", a dit à l'AFP Thomas Elfgren qui a joué un rôle moteur dans les investigations.
La Cour devrait entendre pendant six semaines une cinquantaine de témoins, principalement des victimes, mais aussi des témoins à décharge. Puis elle se rendra en Sierra Leone pour poursuivre son travail, avant de rentrer en Finlande dans environ deux mois. Le verdict est attendu en septembre.
Gibril Massaquoi affirme, lui, qu'il était ailleurs à l'époque et engagé dans des négociations de paix. La loi finlandaise permet de poursuivre des crimes graves commis à l'étranger.
Thomas Elfgren insiste sur le fait que "ceci n'est pas un tribunal international sur le sol libérien (...) Au bout du compte, c'est un tribunal finlandais qui prendra une décision en Finlande".
Il refuse de se prononcer sur l'éventualité que le Liberia y trouve un encouragement à instaurer son propre tribunal. Mais il relève que ces auditions inédites n'auraient pas été possibles si les autorités libériennes ne les avaient pas approuvées.