C'est un séisme sans précédent en près de 70 ans de compétitions européennes: après des décennies à agiter le spectre d'un schisme, les cadors du continent ont fini par franchir le pas avec à leur tête le Real Madrid, le FC Barcelone, Liverpool ou Manchester United, tous multiples vainqueurs de la C1 et marques d'envergure planétaire.
Et pour la presse européenne, la guerre dans le football européen est déclarée: "la guerre des riches", titre le quotidien sportif français L'Equipe, "c'est la guerre", insiste le tabloïd britannique Daily Express, tandis qu'en Espagne, AS parle d'"une bombe dans le football européen".
Ebranlé par la pandémie de Covid-19, le sport roi en Europe voit en effet son avenir s'inscrire en pointillé avec une remise en cause de l'actuel système pyramidal de redistribution des ressources télévisuelles entre la C1, compétition phare, et les championnats nationaux.
Les clubs rebelles prétendent instaurer un controversé système de ligue quasi fermée comparable aux championnats nord-américains de basket (NBA) ou de football américain (NFL), une perspective "désapprouvée" lundi par la Fifa.
"Douze des clubs européens les plus importants annoncent avoir conclu un accord pour la création d'une nouvelle compétition, 'The Super League', gouvernée par ses clubs fondateurs. AC Milan, Arsenal, Atlético Madrid, Chelsea FC, FC Barcelone, Inter Milan, Juventus, Liverpool, Manchester City, Manchester United, Real Madrid et Tottenham se sont unis en tant que clubs fondateurs", peut-on lire dans un communiqué transmis à l'AFP et également diffusé par les sites internet de plusieurs clubs concernés.
"La saison inaugurale (...) démarrera aussitôt que possible", poursuit le texte, sans fixer de calendrier précis.
"Ressources supplémentaires"
Selon une source ayant connaissance des tractations, le Bayern Munich et le Paris SG ont été approchés. Mais les deux finalistes de la dernière C1 n'ont pas donné suite, ce qui a conduit l'UEFA à remercier publiquement "les clubs allemands et français" pour leur loyalisme.
La nouvelle compétition, selon ses promoteurs, est vouée à "générer des ressources supplémentaires pour toute la pyramide du football".
"En contrepartie de leur engagement, les clubs fondateurs recevront un versement en une fois de l'ordre de 3,5 milliards d'euros destinés uniquement à des investissements en infrastructures et compenser l'impact de la crise du Covid-19", poursuivent les organisateurs, qui promettent aussi une "Super League" féminine.
Si ce chiffre est confirmé, il suppose des revenus bien supérieurs à ceux obtenus par l'UEFA pour l'ensemble de ses compétitions de clubs (Ligue des champions, Ligue Europa et Supercoupe d'Europe), qui avaient généré 3,2 milliards d'euros de recettes TV en 2018-2019, avant une pandémie qui a fortement plombé le marché européen des droits sportifs.
Selon ses promoteurs, la "Super League" fonctionnerait sous la forme d'une saison régulière opposant 20 clubs, quinze d'entre eux ("les clubs fondateurs", les 12 cités et trois supplémentaires restant à déterminer) étant qualifiés d'office chaque année et les cinq autres choisis "à travers un système basé sur leur performance de la saison précédente".
Au terme de cette première phase débutant au mois d'août, des play-offs seraient organisés jusqu'en mai pour décerner le trophée.
Les matches se tiendraient en principe en milieu de semaine, entrant en concurrence directe avec les cases réservées pour la Ligue des champions, mais pas avec les championnats nationaux traditionnellement organisés le week-end.
Menace d'exclusion
Reste à savoir quelles réponses l'UEFA, vent debout, et la Fifa, moins en pointe sur le sujet, apporteront à cette tentative de sécession, comparable à celle qu'a connu le basketball européen, entre Euroligue et Ligue des champions de basket (Fiba).
La Fifa "ne peut que désapprouver une Ligue européenne fermée et dissidente", a réagi la fédération internationale lundi, invitant toutes les parties à "un dialogue calme, constructif et équilibré" sur le sujet.
L'UEFA, dans un communiqué co-signé par plusieurs championnats nationaux, avait prévenu dès dimanche que tout club dissident serait exclu des compétitions nationales et internationales, et que leurs joueurs ne pourraient plus jouer en équipe nationale, par exemple à l'Euro ou à la Coupe du monde.
Sollicitée par l'AFP lundi matin, l'UEFA a indiqué qu'il n'y aurait "pas de communication prévue avant la conférence de presse", toujours attendue en début d'après-midi à l'issue de son comité exécutif qui débute à 9 heures (7 heures GMT).
Il faudra voir si sa menace est conforme au droit européen de la concurrence, ce qui laisse présager une éventuelle bataille juridique.
Lundi matin, un haut responsable européen, Margaritis Schinas, commissaire en charge de la Promotion du Mode de vie européen (Culture, Education) a jugé la "Super League" contraire aux valeurs européennes de "diversité" et d'"inclusion".
Le lancement de cette "Super League" intervient en tout cas alors que l'UEFA doit entériner une refonte de sa Ligue des champions à l'horizon 2024.
Initialement, le Comité exécutif de l'instance dirigeante du football européen aurait dû adopter sans trop de heurts cette réforme, tout en finalisant la cartographie des villes hôtes de l'Euro cet été. Mais la fronde des grands clubs brouille les cartes.
En attendant, les prises de positions anti-"Super League" se sont multipliées dimanche, parmi les représentants de supporters mais aussi chez les dirigeants politiques, de l'Elysée en France au Premier ministre Boris Johnson au Royaume-Uni.
La présidence française a ainsi fustigé un projet "menaçant le principe de solidarité et le mérite sportif" et la ministre déléguée aux Sports Roxana Maracineanu a dénoncé un "club VIP de quelques puissants".
Avec son langage toujours imagé, Piers Morgan, présentateur TV controversé en Grand-Bretagne et supporter acharné d'Arsenal, a prévenu les dirigeants du club londonien que s'ils participaient à cette "honteuse, arrongante, élitiste et absurde Super League", ils pourraient "se mettre ses quatre abonnements à l'année dans leur Arsenal", jeu de mots avec le mot fesses en anglais.