Quatre soldats recherchaient un des leurs porté disparu quand ils ont fait face le 1er juin à "un groupe de villageois survoltés", à Missong, un hameau de la région du Nord-Ouest, écrit mardi le ministère de la Défense dans un communiqué.
Ils ont tiré "dans une réaction inappropriée, inadaptée à la circonstance et manifestement disproportionnée" et tué quatre femmes, quatre hommes et une fillette de 18 mois, selon le ministère qui parle de "méprise" et assure que les quatre militaires, qui ont également "légèrement blessé" une fillette de 12 mois, sont "aux arrêts".
Fait particulièrement rare, l'armée camerounaise a pris les devants en publiant ce communiqué reconnaissant une bavure dans la guerre au Cameroun anglophone sans y être contrainte par des pressions internationales.
Les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, peuplées principalement par la minorité anglophone du Cameroun, sont le théâtre d'une guerre entre des groupes armés séparatistes et des forces de sécurités massivement déployées. Le conflit qui a fait plus de 6.000 morts depuis fin 2016 et forcé plus d'un million de personnes à se déplacer, selon l'ONG International Crisis Group (ICG).
Une partie de la population anglophone s'estime ostracisée par la majorité francophone de ce pays dirigé d'une main de fer depuis près de 40 ans par le président Paul Biya, 89 ans. Les rebelles séparatistes comme les militaires et les policiers sont régulièrement accusés par l'ONU et les ONG internationales de crimes contre les civils.
"Regrettable méprise"
Le ministère de la Défense "regrette profondément ce grave et malheureux incident et adresse ses condoléances les plus attristées aux familles des victimes". "L'enquête immédiatement ouverte par les autorités administratives et judiciaires locales (...) permettra de faire toute la lumière et de préciser les contours et les responsabilités de cette regrettable méprise", promet le ministère de la Défense.
"Il faut que cette enquête soit crédible et indépendante", a réagi pour l'AFP Ilaria Allegrozzi, chercheuse sur l'Afrique centrale à l'organisation américaine de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch (HRW). L'armée camerounaise est régulièrement pointée du doigt et accusée d'exactions dans les régions anglophones par les organisations internationales.
En février 2020, au moins 23 civils dont 15 enfants selon l'ONU, avaient été tués dans un raid de militaires dans le village de Ngarbuh, dans le Nord-Ouest. L'armée avait d'abord affirmé qu'ils avaient péri dans l'explosion d'une citerne d'essence lors de combats entre séparatistes et militaires. Avant de reconnaître, sous d'intenses pressions internationales, dont celle de la France, qu'ils avaient été massacrés par des soldats "incontrôlés" ayant désobéi et menti, épaulés par une milice supplétive. Trois militaires sont poursuivis pour meurtres et ont plaidé "non-coupable" mais, plus de deux ans après les faits, le verdict se fait attendre.
"Répression impitoyable"
En février 2021, HRW avait accusé des soldats d'avoir violé "au moins 20 femmes - dont quatre handicapées" et tué un homme dans une attaque en mars 2020 dans le village d'Ebam, dans la région du Sud-Ouest. Pour l'ONG, cette attaque était "l'une des pires perpétrées par l'armée camerounaise". Le ministère de la Défense avait évoqué des "allégations prétendument documentées".
Le conflit au Cameroun anglophone avait éclaté en octobre 2016 après des manifestations pacifiques d'une partie de la minorité anglophone, qui s'estimait marginalisée et réclamaient plus d'autonomie ou l'indépendance, et violemment réprimées par les forces de l’ordre.
En 2019, après d'intenses pressions internationales, M. Biya, intraitable jusqu'alors et accusé de mener une répression impitoyable par les ONG internationales, avait consenti à ouvrir un Grand dialogue national sur la question anglophone. Or, ce dernier avait accouché d'une souris au goût de ceux qui réclament l'indépendance de l'"Ambazonie" ou tout simplement une solution fédéraliste: l’État avait seulement conféré un peu plus d'autonomie aux deux régions dans des domaines non-régaliens.
Les civils sont pris en étau entre les militaires et les séparatistes armés, lesquels attaquent régulièrement des écoles auxquelles ils reprochent d'enseigner en français, et tuent des fonctionnaires, dont des enseignants, qu'ils accusent de "collaborer" avec Yaoundé.