Les Tunisiens ont commencé à voter lundi lors d'un référendum imposé par le chef de l'Etat, Kais Saied, sur une nouvelle Constitution controversée qui renforce ses pouvoirs et pourrait faire rebasculer le pays vers un régime dictatorial similaire à l'avant 2011.
Le pays, confronté à de grandes difficultés économiques, aggravées par l'épidémie de Covid puis la guerre en Ukraine, est aussi plongée dans une profonde crise politique depuis que le président s'est emparé de tous les pouvoirs il y a un an, arguant de l'ingouvernabilité du pays.
Malgré un soleil déjà brûlant, ils étaient plus nombreux qu'escompté à patienter dans plusieurs bureaux de vote du centre de Tunis, selon les journalistes de l'AFP.
Selon l'autorité électorale Isie, plus de 6% des 9,3 millions d'électeurs avaient déjà voté à 8H30 GMT, trois heures et demi après l'ouverture, un chiffre "important et encourageant", a estimé son président Farouk Bouasker, rappelant la très faible affluence à la même heure aux dernières élections de 2019 (1,6%).
Mongia Aouanallah, une retraitée de 62 ans, attend du référendum qu'il lui "apporte une vie meilleure, pour que les enfants de nos enfants vivent mieux" car "tout est catastrophique". Ridha Nefzi, un travailleur journalier de 43 ans est "venu voter pour changer la situation du pays. Le pays est rentré dans le mur. Nous avons au moins le moyen de réparer. Maintenant commence une nouvelle page".
La participation est le principal enjeu du référendum pour lequel aucun quorum n'est requis et où le oui est donné favori, les grands partis d'opposition ayant appelé à boycotter le scrutin.
Les premiers résultats ne sont pas attendus avant mardi au mieux.
Après avoir voté à Tunis, le président a appelé les électeurs à approuver sa Constitution pour "établir une nouvelle République fondée sur la vraie liberté, la vraie justice et la dignité nationale".
La nouvelle loi fondamentale instaure un régime ultra-présidentiel accordant de vastes pouvoirs au chef de l'Etat, en rupture avec le système parlementaire en place depuis 2014, source de conflits entre le Parlement et le gouvernement.
Dans le nouveau texte, le président désigne le chef du gouvernement et les ministres et peut les révoquer à sa guise, sans nécessité d'obtenir la confiance du Parlement. Il entérine les lois et peut soumettre au Parlement des textes législatifs qui ont "la priorité". Une deuxième chambre devant représenter les régions sera établie pour contrebalancer l'Assemblée des représentants (députés) actuelle.
Sadok Belaïd, le juriste chargé par M. Saied d'élaborer la nouvelle Constitution, a désavoué le texte final, estimant qu'il pourrait "ouvrir la voie à un régime dictatorial".
L'opposition et de nombreuses ONG ont dénoncé un texte "taillé sur mesure" pour M. Saïed, l'absence de contrepouvoirs et le risque de dérive autoritaire d'un président n'ayant de comptes à rendre à personne.
"Correction de cap"
L'opposition, aussi bien le mouvement d'inspiration islamiste Ennahdha, bête noire de M. Saied que le Parti destourien libre d'Abir Moussi, ont appelé au boycott du scrutin, invoquant un "processus illégal" et sans concertation.
La puissante centrale syndicale UGTT, moins présente dans la vie politique qu'autrefois, n'a pas donné de consigne de vote.
Personnage insondable et complexe, le président Saied exerce le pouvoir de manière de plus en plus solitaire depuis un an.
Agé de 64 ans, M. Saied considère sa refonte de la Constitution comme le prolongement de la "correction de cap" engagée le 25 juillet 2021 quand, arguant de blocages politico-économiques, il a limogé son Premier ministre et gelé le Parlement avant de le dissoudre en mars, mettant en péril la seule démocratie issue du Printemps arabe.
Pour le chercheur Youssef Cherif, "le fait que les gens puissent encore s'exprimer librement, qu'ils puissent aller voter non (au référendum) sans aller en prison montre que nous ne sommes pas dans le schéma traditionnel de la dictature".
Mais la question pourrait se poser, selon lui, dans l'après-Saied, avec une Constitution qui "pourrait construire un régime autoritaire ressemblant aux régimes que la Tunisie a connus avant 2011", la dictature de Zine el Abidine Ben Ali et le régime autocratique du héros de l'indépendance Habib Bourguiba.
Au lendemain du vote, le principal défi du président restera la mauvaise situation économique avec une croissance poussive (autour de 3%), un chômage élevé (près de 40% chez les jeunes), une inflation galopante et l'augmentation du nombre de pauvres à 4 millions de personnes.
La Tunisie, au bord du défaut de paiement avec une dette supérieure à 100% du PIB, négocie un nouveau prêt avec le FMI qui a fait état de "progrès satisfaisants" vers un accord, mais exigera en retour des sacrifices, susceptibles de provoquer la colère de la rue.