Depuis une colline du Masisi, dans l'est de la République démocratique du Congo, le chef de guerre coordonne les mouvements de ses hommes. Avec d'autres groupes armés, il forme une coalition qui s'est juré de stopper l'avancée des rebelles du M23.
"Nous avons mis nos forces ensemble pour combattre l'agresseur", déclare le lieutenant-général autoproclamé Janvier Karairi, 60 ans dont plus de 25 de maquis, chef de la milice Alliance des patriotes pour un Congo libre et souverain (APCLS), composée essentiellement de combattants d'ethnie Hunde.
Sanglé dans un treillis commando, il reçoit une équipe de l'AFP sous une paillote dans la région de Kitshanga, localité située à environ 90 km au nord-ouest de la capitale provinciale du Nord-Kivu, Goma. Aux alentours, des huttes en bois et des miliciens, jeunes et armés.
Il y a dix ans, Janvier Karairi avait déjà combattu le M23, un mouvement majoritairement tutsi qui avait alors brièvement occupé Goma avant d'être vaincu en 2013. En fin d'année dernière, le M23 a repris les armes, estimant que des engagements pris par Kinshasa pour la réinsertion de ses combattants n'avaient pas été respectés.
Au fil des mois, cette rébellion, que Kinshasa affirme activement soutenue par Kigali, a conquis une partie du territoire de Rutshuru, frontalier de l'Ouganda et du Rwanda, s'est approché à une vingtaine de km au nord de Goma et a progressé vers l'ouest, en direction du Masisi.
Le chef milicien s'est lancé encore une fois, à la tête de son mouvement qui occupe plusieurs localités du territoire, dans le combat contre ce M23 qu'il ne veut pas voir sur ses terres.
Finir le travail
"Nous continuons à protéger la population", affirme le chef milicien, entre deux conversations téléphoniques depuis son QG avec ses troupes sur le terrain. Quand il parle, le silence se fait. Il est accompagné par son porte-parole, le "colonel" Héritier Ndagendange. Celui-ci vient d'arriver de Goma, avec un lourd sac rouge qu'un milicien porte sur la tête pour monter chez le général Janvier.
"Ce sont des cartouches que je viens d'apporter. Nous commençons à nous débrouiller pour avoir le ravitaillement", sourit le porte-parole, qui a franchi sans plus de difficultés plusieurs "barrières" (check-points) dressées sur la route depuis Goma par les forces de sécurité. "Nous sommes des rebelles, nous sommes forts pour chercher des armes. Le gouvernement ne nous aide en rien, en tout cas", affirme Janvier Karairi.
Il assure aussi que ses centaines de combattants sont des volontaires, sans salaires. "Je ne les paie pas. Le sentiment qui m'avait poussé à me battre, c'est le même qui les anime", explique-t-il. "Notre pays nous paiera quand nous aurons fini le travail", ajoute le chef milicien.
"Je me bats pour mon pays", déclare fièrement Baseme, jeune milicien de 25 ans. "J'ai rejoint la rébellion pour barrer la route aux agresseurs, le Rwanda", renchérit son collègue Mwisha, 23 ans.
Dans un rapport publié en octobre, l'ONG de défense des droits humains Human Rights Watch affirmait que des unités de l'armée congolaise avaient collaboré dans la lutte contre le M23 avec des groupes armés, donc certains responsables d'exactions. Parmi eux figuraient les FDLR (Forces démocratiques de libération du Rwanda), groupe principalement hutu constitué par certains responsables du génocide des Tutsi rwandais en 1994.
Qui est qui ?
HRW ajoutait que début mai, les chefs de plusieurs groupes armés congolais, dont l'APCLS de Janvier Karairi, s'étaient rencontrés pour former une coalition "patriotique" contre "l'agresseur".
L'armée assure qu'elle ne combat pas aux côtés de ces milices, ce qu'affirme aussi l'APCLS. "Nous ne collaborons pas avec les FARDC" (forces armées congolaises), affirme son porte-parole, en déplorant que l'armée ait décroché de certains "axes" et permis ainsi au M23 de progresser rapidement.
"Des officiers des FARDC ont trahi, il a fallu que nous intervenions pour arrêter cette hémorragie", ajoute Héritier Ndagendange, qui énumère les noms et chefs de groupes armés avec lesquels travaille l'APCLS: "le CMC, le FPP de Kabido, le général Domi, Guidon, Jean-Marie et autres..."
Muhoza, elle, jeune vendeuse d'unités téléphoniques à Kitshanga, ne sait pas faire la différence entre tous ces hommes armés, en tenues militaires ou en civil, qui sillonnent nombreux les rues de la cité. "Ici tu ne sais pas qui est qui. Nous vivons dans une psychose totale, avec ces groupes armés", souffle-t-elle.
Deux jeunes villageois Hunde rentrant des champs affirment se sentir "en sécurité depuis l’arrivée des APCLS" dans leur village. Une femme tutsi rencontrée récemment à Goma expliquait au contraire s'être enfuie de Kitshanga quand le "général Janvier" et ses jeunes combattants étaient arrivés en ville.