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Au Burkina Faso, une guérisseuse de 20 ans attire les foules


La guérisseuse Amsétou Nikiéma, surnommée Adja, fait une prière de bénédiction à des milliers de personnes venues spécialement pour la voir, dans le village de Toeghin Peulh, près de Ouagadougou, le 26 février 2023.
La guérisseuse Amsétou Nikiéma, surnommée Adja, fait une prière de bénédiction à des milliers de personnes venues spécialement pour la voir, dans le village de Toeghin Peulh, près de Ouagadougou, le 26 février 2023.

La réputation d’Adja, c’est la transparence: aux cas désespérés ou hors de son domaine de compétences, elle déclare abruptement son impuissance.

Un essaim de motos et de voitures bourdonne dans la poussière. A 30km au sud de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, la brousse est saisie d’une fièvre inhabituelle pour un dimanche matin.

La raison de cette étonnante procession? Une guérisseuse de 20 ans aux pouvoirs réputés immenses: son surnom, Adja, est devenu célèbre aux quatre coins d’un pays en crise.

Au bout de la piste, un champ de motos garées à perte de vues, une forêt de tentes enchevêtrées et une marée de pèlerins vêtus de blanc qui forment des rivières humaines à travers la brousse.

Il y a là des hommes aux pieds enchaînés, des éclopés, des malchanceux, des possédés. Tous ceux dont la société burkinabè ne sait plus que faire, ou ne sait pas soigner.

"Nous avons essayé des traitements de toute part, mais en vain", raconte Awa Tiendrébeogo, parente d’un malade atteint de "vertiges" récurrents. "Puis une connaissance nous a parlé de Adja et nous sommes venus ici", explique-t-elle.

La guérisseuse Amsétou Nikiéma, surnommée Adja, travaille sur des patients dans le village de Toeghin Peulh, près de Ouagadougou, le 26 février 2023.
La guérisseuse Amsétou Nikiéma, surnommée Adja, travaille sur des patients dans le village de Toeghin Peulh, près de Ouagadougou, le 26 février 2023.

Les guérisons d'Adja sont gratuites, mais les offrandes bienvenues. Les chantiers ont poussé dans les environs du domaine, financés par de riches donateurs. Les commerçants ont flairé le filon et leurs étals encombrent la route bondée. Chemins et regards convergent vers la tente de la guérisseuse, plantée sur un carré de terre libre au coeur de la foule.

Des incantations s’élèvent enfin dans les hauts parleurs. "Il n'y a de divinité que Dieu", une formule consacrée de l'Islam que répètent en choeur des milliers de fidèles.

Adja apparait alors: une jeune fille vêtue d’un pagne et d’un vieux t-shirt, qui marche pieds nus dans la poussière, avec comme seul accessoire une canne en bois dont elle ne se sépare jamais.

Blessures invisibles


Adja commence par fixer le soleil, le visage contracté par des spasmes, puis elle ausculte l'assistance. "Celui-là, avec le sweat rose, aura un accident bientôt", "Par-là, il y a un homme qui est venu enquêter sur moi", égrène-t-elle, sans désigner sa cible.

Sa réputation ne cesse de croître, trois années seulement après sa première guérison.

Prières musulmanes, pharmacopée traditionnelle, cérémonies de désenvoûtement: la guérisseuse conjugue ces méthodes dans un pays majoritairement musulman aux infrastructures de santé défaillantes et où les croyances traditionnelles restent vivaces.

Séance de prière autour de la guérisseuse Amsétou Nikiéma, surnommée Adja, dans le village de Toeghin Peulh, près de Ouagadougou, le 26 février 2023.
Séance de prière autour de la guérisseuse Amsétou Nikiéma, surnommée Adja, dans le village de Toeghin Peulh, près de Ouagadougou, le 26 février 2023.

Officiellement, seuls 9 % des burkinabè se déclarent "animistes", un chiffre notoirement sous-évalué comme c'est le cas dans de nombreux pays africains.

Parmi les patients en majorité musulmans présents ce jour, beaucoup refusent d’être filmés de près. "L’adage ici, c’est que les gens critiquent la tradition le jour, et la pratiquent la nuit", glisse un assistant de la guérisseuse.

"Mauvais génies"

Les cas les plus visibles sont les victimes de "mauvais génies", à l'image de Fatoumata, une jeune femme qui a brusquement perdu l’usage de ses jambes.

Etendue au sol, inerte, elle est aspergée d'eau bénite par Adja qui marche lentement sur son corps, pieds nus. Les prières du public redoublent d'ardeur et se mêlent aux hurlements des autres "possédées" qui attendent leur tour.

C’est un échec. Fatoumata ne se relève pas. La patiente suivante, elle, retrouvera l’usage de ses jambes.

La réputation d’Adja, c’est la transparence: aux cas désespérés ou hors de son domaine de compétences, elle déclare abruptement son impuissance.

"La renommée de Adja vient de son intégrité", explique Awa Tiendrébeogo, dont le parent a été guéri de ses vertiges.

Le pouvoir de la jeune femme, une sorte d'entité spirituelle qui dirige son existence et ne lui autorise aucune liberté, lui interdit le mensonge, dit-elle.

Encadrée par une légion de gardes du corps, d’assistants, de biographes, Adja assure, pensive, qu'elle a renoncé à connaitre un jour une vie normale.

Mais à l’écart de la foule, à l’ombre d’un arbuste rabougri, elle redevient Amsétou Nikiéma, jeune fille étrangement spontanée et rieuse, tout juste sortie d’une enfance traumatique.

Hantée par ses visions depuis toujours, Amsétou raconte qu’elle était considérée comme folle, rejetée, battue et enchaînée par sa famille. "C’est à cause de ça que je suis en train de rigoler tout le temps, pour pouvoir soulager les gens. Comme les gens me détestaient dans mon enfance, je voulais que tout le monde m’aime", raconte-t-elle.

Quant à ses tortionnaires, elle les remercie : "Grâce à ma famille, grâce à la maltraitance, je suis devenue quelqu’un aujourd’hui, et je sais comment prendre soin de quelqu’un. Et si pendant ton enfance tu ne souffres pas, tu ne vas jamais réussir dans la vie".

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