Le 3 mai, le matin même de l'ouverture de ce grand raout censé aborder tous les sujets qui fâchent dans le plus peuplé des pays arabes, un journaliste est arrêté, tandis que le monde célèbre la journée de la liberté de la presse. Hassan Qabbani est finalement relâché et Diaa Rashwan, le coordinateur du dialogue national, assure qu'il s'agissait d'un "problème d'homonymie".
Au même moment, 16 proches et partisans d'Ahmed al-Tantawi, l'unique candidat (pour l'instant) à la présidentielle du printemps 2024, sont arrêtés. Peu de temps après, la rapporteure de l'ONU pour les défenseurs des droits humains, Mary Lawlor, s'inquiète de la "disparition forcée", pendant 23 jours, du militant Moaaz al-Charqawy, réapparu ensuite devant le parquet de la Sûreté d'Etat, une juridiction d'exception, d'après l'Initiative égyptienne pour les droits personnels (EIPR).
Pour Amr Magdi, de l'ONG Human Rights Watch (HRW), le dialogue national n'apporte "absolument aucun changement". Le pouvoir, dit-il à l'AFP, "manœuvre pour faire comme s'il ouvrait un nouveau chapitre mais, en réalité, il essaye uniquement d'améliorer son image."
"Terrorisme"
La preuve, pour les militants des droits humains? Le Caire a réactivé mi-2022 en grandes pompes son comité des grâces présidentielles. Côté face, il a fait libérer près d'un millier de prisonniers, répètent à l'envi les responsables. Mais, côté pile, dénoncent les ONG, presque "trois fois plus (de personnes) ont été arrêtées dans le même temps". Ces dernières semaines, le rythme s'est encore accéléré.
Le 22 avril, une vingtaine d'Ultras Ahlawy avaient été arrêtés lors d'un match au stade du Caire. Aussitôt une campagne appelant à boycotter le stade et à brûler sa carte de supporteur est née.
Dans la foulée, au moins 39 fans – dont des mineurs – ont été "raflés chez eux", selon le Front égyptien pour les droits humains (EFHR) qui indique que la justice d'exception les maintient en détention provisoire pour "terrorisme" et rassemblement "en vue de détruire le stade du Caire".
Les Ultras, centraux dans la "révolution" de 2011 qui a renversé Hosni Moubarak, sont de longue date dans le viseur du régime d'Abdel Fattah al-Sissi. Ils ont été interdits en 2018 et des dizaines d'entre eux jetés en prison.
M. Tantawi, le candidat à la présidentielle connu pour avoir lancé en 2019 au Parlement un retentissant "Je n'aime pas le président", s'inquiète, lui, du sort d'une vingtaine de ses partisans. Seize doivent répondre d'"appartenance" ou "financement d'un groupe terroriste", de possession d'"armes" et d'"outils de propagande". Et "neuf autres ont été enlevés en route vers (son) bureau au Caire", rapporte-t-il.
Pour M. Magdi, de HRW, il n'y aura "pas d'élections libres" en 2024. En 2018, M. Sissi l'avait emporté haut la main face à un unique concurrent qui lui proclamait son soutien. "Des gens sont arrêtés pour un post sur Facebook, donc personne ne se sent en sécurité pour mener une quelconque activité politique", dit-il.
Nouvelles prisons modèles
M. Rashwan, lui, estime qu'"il faut distinguer les cas isolés des phénomènes plus larges" comme le dialogue national ou le comité des grâces présidentielles.
Comme les autorités refusent de donner le nombre de détenus, les ONG tentent de s'appuyer sur d'autres chiffres. L'EFHR rapporte ainsi que les juges anti-terroristes de la nouvelle prison de Badr (à l'est du Caire) ont étudié, en 2022, 25.034 demandes de prolongation de détention provisoire.
Dans 98,6% des cas, ils ont prolongé de 45 jours la détention "principalement pour des détenus inquiétés pour leur activité politique", assure l'EFHR. Les prisons sont le nouveau grand chantier du Caire. Fin mars, un cinquième "centre de réhabilitation" était inauguré en grandes pompes.
Ces nouveaux complexes dans le désert – avec bibliothèques, ateliers de couture et usines agro-alimentaires comme l'a constaté l'AFP lors d'une visite organisée par les autorités– sont censés remplacer les dizaines de prisons vétustes du pays. Mais, depuis janvier, les défenseurs des droits humains ont recensé la mort de 14 détenus, dont au moins cinq dans ces nouveaux établissements.
La répression touche aussi les ONG. Le 14 avril, elles ont appris en lisant le journal officiel que, parmi les 81 Egyptiens tout juste ajoutés à la liste des "terroristes", figuraient plusieurs de leurs membres. Pendant cinq ans, ces derniers ne pourront ni voyager ni accéder à leurs comptes bancaires.
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