La télévision Al-Ahrar, citant une source gouvernementale, a annoncé lundi le limogeage de Najla al-Mangoush, au lendemain de sa suspension après l'annonce par le service de presse de son homologue israélien Eli Cohen d'une rencontre "inédite" entre les deux ministres à Rome la semaine passée. La Libye ne reconnaît pas Israël et s'oppose à toute normalisation avec ce pays.
Le sort de Mme Mangoush était inconnu lundi. Selon l'agence de presse turque Anadolu, citant des "sources de sécurité" anonymes, un avion gouvernemental libyen l'aurait conduite de Tripoli à Istanbul dans la nuit de dimanche à lundi.
L'Organe de sécurité (OSI) de l'aéroport de Mitiga, le seul opérationnel à Tripoli, a démenti avoir autorisé son départ à l'étranger, "que ce soit par le terminal ordinaire ou celui des hautes personnalités". "Les caméras de surveillance prouveront" qu'elle n'est pas partie via cet aéroport, selon l'OSI.
Avant que le Premier ministre Abdelhamid Dbeibah ne la "suspende" et n'ouvre une "enquête administrative" à son encontre dimanche, le ministère de Mme Mangoush avait qualifié l'entrevue avec M. Cohen de "fortuite et non officielle". Selon plusieurs spécialistes de la Libye, M. Dbeibah, à la tête d'un gouvernement mis en place dans le cadre d'un processus de paix parrainé par l'ONU, avait donné son accord à cet entretien, Mme Mangoush étant un "bouc émissaire".
"Le Parlement de l'Est, (l'homme fort de l'Est Khalifa) Haftar et Dbeibah la rendent responsable de décisions auxquelles ils ont tous participé", a déclaré à l'AFP Anas el-Gomati du Sadeq Institute. Selon lui, "des pourparlers sont en cours pour créer un nouveau gouvernement intérimaire entre les familles Dbeibah et Haftar, négocié à Abou Dhabi" à la place des élections initialement prévues fin 2021 conformément au processus onusien mais reportées sine die en raison des fortes divisions entre les différents camps en Libye.
Depuis un an, deux gouvernements se disputent le pouvoir dans le pays pétrolier plongé dans le chaos depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011: celui de M. Dbeibah dans l'Ouest et celui de l'Est soutenu par le maréchal Haftar.
"Première étape" ?
Le ministre israélien a dit avoir évoqué avec Mme Mangoush "l'importance de préserver l'héritage du judaïsme libyen à travers la réparation des synagogues et des cimetières juifs dans ce pays". Il s'agit d'une "première étape dans les relations entre Israël et la Libye", a dit ce ministre estimant que "la taille et la place stratégique de la Libye offrent une opportunité immense pour l'Etat d'Israël". Cette rencontre s'est déroulée sous les auspices du ministre italien des Affaires étrangères Antonio Tajani, selon le communiqué israélien.
La majeure partie de la population juive libyenne a quitté ce pays pendant les vingt années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, principalement pour aller en Israël. Quelques centaines de juifs vivaient encore en Libye au moment du coup d'Etat en 1969 de Mouammar Kadhafi, qui les a ensuite expulsés, a fait confisquer leurs biens et détruit des synagogues.
Israël a normalisé ces dernières années ses relations avec certaines nations arabes, dans le cadre des Accords d'Abraham sous l'égide des Etats-Unis. Cependant, la politique actuelle du gouvernement de Benjamin Netanyahu a fait l'objet de critiques des pays arabes à la suite de la vague de violences en Cisjordanie occupée ainsi que face à la poursuite de la colonisation dans ce territoire.
Des mouvements de protestation spontanés ont éclaté dimanche à Tripoli et dans plusieurs banlieues de la capitale en signe de refus d'une normalisation avec Israël, puis ils ont gagné d'autres villes où des jeunes ont coupé les routes, brûlé des pneus et brandi le drapeau palestinien.
Selon M. el-Gomati, pour garantir "un soutien américain (à un accord entre les deux camps), des pressions ont été exercées (sur la Libye) pour adhérer aux accords d'Abraham" de normalisation entre les pays arabes et Israël, desquels sont signataires les Emirats arabe unis.
"Survie"
Jalel Harchaoui, également spécialiste de la Libye, pense aussi à "une manoeuvre de M. Dbeibah" pour se maintenir au pouvoir face "à une pression qui monte à l'ONU et aux Etats-Unis afin d'installer un nouveau gouvernement de technocrates" pour préparer des élections.
Pour M. el-Gomati, Dbeibah joue "sa survie" qui "dépend surtout des relations et des alliances qu'il entretient au-delà des frontières libyennes avec de puissants acteurs régionaux". "Le soutien de Tel Aviv à Haftar n'est un secret pour personne", a-t-il rappelé, qualifiant l'annonce de la rencontre par Israël de "stratégique" car "destinée à faire pencher la balance en faveur de Haftar, en acculant Dbeibah".
Le ministère israélien des Affaires étrangères a nié lundi être à l'origine de cette "fuite" d'information. L'idée est, selon l'expert, soit de "pousser Dbeibah à abandonner le pouvoir, soit de le contraindre à un compromis avec le camp de Haftar via le canal secret d'Abou Dhabi".
Dbeibah "a eu la tentation de faire un coup en termes de diplomatie mais c'est raté car il n'a pas évalué correctement le risque que la population se focalise sur lui" et non sur Mme Mangoush, a estimé M. Harchaoui.
Des mouvements de protestation ont éclaté dimanche à Tripoli et dans plusieurs villes et la maison du Premier ministre a été attaquée. Des groupes de jeunes ont coupé les routes, brûlé des pneus et brandi le drapeau palestinien. "Il y a un vrai sentiment d'outrage dans la population face aux politiques d’Israël vis-à-vis des Palestiniens", a expliqué M. Harchaoui.
En Libye, toute relation avec Israël, ses ressortissants ou toute entité le représentant est passible de poursuites pénales assorties d'une peine d'emprisonnement de trois à dix ans, en vertu d'une loi datant de 1957.
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