La répression a suscité une vague d'indignation dans l'opposition. "Nous prenons à témoin la communauté régionale et internationale, face aux dérives de ce pouvoir finissant" du président Macky Sall, a réagi Khalifa Sall, l'un des principaux candidats à la présidentielle. Thierno Alassane Sall, un autre candidat, a protesté sur X contre la "répression brutale inacceptable".
Le pays a été vivement ému par la mort dans la ville historique de Saint-Louis (nord) d'Alpha Yoro Tounkara, 22 ans, étudiant en deuxième année de licence de géographie. Des centaines d'étudiants de l'université Gaston Berger, où il étudiait, ont veillé dans la nuit de vendredi à samedi, priant pour lui.
"Il était non seulement un brillant étudiant, mais aussi un camarade aimé et respecté. Sa présence chaleureuse et son enthousiasme contagieux manqueront à tous ceux qui ont eu la chance de le connaître", a écrit Cheikh Ahmadou Bamba Diouf, président du club de géographie de l'université.
Les circonstances de sa mort ne sont pas encore connues mais une enquête a été ouverte, a indiqué le procureur de la République de Saint-Louis. Le ministre de l'Intérieur a affirmé dans un communiqué "que les forces de défense et de sécurité ne sont pas intervenues dans le Campus universitaire où le décès est survenu".
Tué par balle
Modou Gueye, 23 ans, est la deuxième victime des manifestations. Il était un marchand ambulant à Colobane, un quartier animé de Dakar, où il vendait des maillots et des drapeaux. "Il y a eu des tirs de grenades lacrymogènes, et ensuite on est allé à la gare du TER de Colobane pour rentrer", a raconté à l'AFP son frère, Dame Gueye. "C’est là-bas qu'un gendarme lui a tiré une balle réelle au ventre", a-t-il affirmé. "C’est moi qui lui ai tenu son sac quand il est tombé", a-t-il dit.
"Il a subi deux opérations cette nuit et malheureusement, il a succombé à ses blessures ce matin", a précisé à l'AFP Mbagnick Ndiaye, son beau-frère. L'information n'a pas été confirmée par les autorités. Des images diffusées sur les réseaux sociaux font craindre de nombreux blessés.
Vendredi, des manifestations d'ampleur contre le report des élections et le président Macky Sall ont eu lieu dans tout le pays, notamment à Dakar, mais elles ont été aussitôt dispersées par les forces de sécurité. Dans la capitale, la police a fait un usage abondant de gaz lacrymogènes pour tenir à distance les personnes qui cherchaient à se rassembler aux abords de la place de la Nation.
Des manifestants ont riposté en lançant des pierres et en érigeant des barricades avec des objets de fortune. L'appel à protester vendredi avait été diffusé sur les réseaux sociaux, sans qu'il soit possible de déterminer précisément qui en était à l'initiative. De telles manifestations sont généralement interdites dans le pays.
Reporters sans Frontières (RSF) s'est "indigné" du ciblage d'au moins cinq journalistes par les policiers à Dakar. Le Sénégal a été régulièrement secoué depuis 2021 par des épisodes de contestation liées à des procédures judiciaires contre l'un des principaux opposants, Ousmane Sonko, aujourd'hui incarcéré, avec des dizaines de personnes tuées et des centaines arrêtées.
Nouvelle manifestation
Ce nouvel épisode de troubles ouvre une période d'incertitude dans le pays une semaine après l'annonce par Macky Sall du report sine die de la présidentielle, initialement prévue le 25 février. L'Assemblée nationale a approuvé lundi un ajournement au 15 décembre, après avoir expulsé par la force les députés de l'opposition.
Elle a aussi voté le maintien de M. Sall au pouvoir jusqu'à la prise de fonctions de son successeur, vraisemblablement début 2025. Son deuxième mandat expirait officiellement le 2 avril. Ce report a soulevé une indignation largement partagée sur les réseaux sociaux. L'opposition crie au "coup d'Etat constitutionnel". Les partenaires internationaux du Sénégal ont marqué leur préoccupation et appelé à organiser des élections le plus rapidement possible.
Une nouvelle manifestation lancée par un collectif de la société civile, Aar Sunu Election ("Protégeons notre élection"), est prévue mardi. Face à la répression, "il faut une stratégie de lutte citoyenne. La désobéissance civile est une arme que l'on va utiliser pour mettre ce pays à l'arrêt et rétablir la légalité constitutionnelle", a déclaré samedi à l'AFP Malick Diop, cocoordinateur du collectif. Vendredi, des débrayages dans les écoles ont été massivement suivis et les imams ont été invités à dénoncer la situation politique dans leur prêche lors de la grande prière.
Le report de la présidentielle est perçu par l'opposition comme une manigance pour éviter la défaite du candidat du camp présidentiel, voire pour maintenir le président Sall à la tête du pays encore plusieurs années, ce qu'il dément. Face à l'une des plus graves crises politiques des dernières décennies, M. Sall a dit vouloir engager un processus "d'apaisement et de réconciliation".
Forum