Au cœur du grand marché Dantokpa de Cotonou, la boutique de vente de maïs appartenant à la famille Makpènon est depuis quelques jours moins fréquentée que d'habitude.
L'entreprise, comme d'autres dans la capitale économique du Bénin, tourne au ralenti en raison de la hausse des prix du maïs. En l'espace de quelque jours, le prix du kilogramme de maïs a doublé, passant de 200 francs CFA (0,30 centimes) à 400 francs CFA (0,61 euros), avec même un pic à 450 francs CFA, selon les commerçants du marché. Le sac de 120 kilogrammes peut atteindre 36.000 FCFA (environ 55 euros) quand il ne dépassait pas 30.000 FCFA (46 euros).
La hausse des prix au Bénin résulte de la fermeture de la frontière avec le Niger, principal partenaire commercial du pays, à la suite d'un coup d'État en juillet 2023, mais également de la fin de la subvention des carburants au Nigeria voisin, où le Bénin s'approvisionne pour sa consommation intérieure.
L'augmentation du coût des denrées alimentaires dans ce pays a incité les syndicats béninois à appeler à une série de manifestations sans précédent contre le coût de la vie. Les deux premières manifestations organisées ont été dispersées par la police qui a tiré des gaz lacrymogènes. La troisième, prévue samedi, a quant à elle été autorisée.
"Aller au marché est devenu un supplice. Tout nous revient si cher que nous sommes désemparés", déplore Roberte Akododja, 42 ans, propriétaire d'un bistrot dans le quartier populaire de Gbégamey à Cotonou. "Même dans les restaurants, il faut débourser plus pour les repas habituels ou se contenter de faibles portions", ajoute de son côté Delphin Agossohou, cadre administratif.
Lutter contre la vie chère
Camille Ségbedji, un des responsables du Syndicat National des Enseignants et personnels Administratifs du Secondaire du Bénin (SYNEPAS), se plaint de l'absence de "politique agricole équitable" de la part du gouvernement béninois face à la baisse du pouvoir d'achat de la population. En 2023, l'économie béninoise s'est montrée résiliente malgré les chocs économiques externes auxquels le pays a dû faire face, selon la Banque mondiale.
Lors d'un conseil des ministres tenu mercredi, le gouvernement a toutefois temporairement suspendu les exportations de céréales afin de freiner la flambée des prix. Les rassemblements politiques sont devenus plus rares au Bénin depuis l'arrivée au pouvoir du président Patrice Talon en 2016, certains grands leaders de l'opposition étant en exil ou emprisonnés.
Les critiques accusent régulièrement le président béninois d'avoir opéré un virage autoritaire dans ce pays autrefois salué pour le dynamisme de sa démocratie. Protestant contre les coûts élevés, les principaux syndicats du pays ont organisé une manifestation à Cotonou le 27 avril, rapidement interrompue et interdite par la police qui a fait usage de gaz lacrymogènes pour disperser le rassemblement.
Près de 30 manifestants et leaders du mouvement syndical ont été arrêtés ce jour-là, avant d'être relâchés un peu plus tard. "Les travailleurs peinent à se faire entendre. Nous avons des revendications, mais aucun moyen de les extérioriser", explique Arsène Olory-Togbe, infirmier, 48 ans.
Le 1er mai, la Confédération des syndicats des travailleurs du Bénin (CSTB Bénin), principale organisation syndicale du pays a organisé une nouvelle manifestation, qui a aussitôt été interdite par les autorités. Cette fois, 72 manifestants ont été arrêtés, dont 21 placés en détention provisoire pour consommation de cannabis.
"Ridicule et toxique argumentaire d'un pouvoir en perte de vitesse qui invente des subterfuges pour intimider les travailleurs ", a déclaré à l'AFP Nestor Kouakanou, syndiqué à la CSTB. "Nos motivations sont relatives au mal-être majoritaire au sein des citoyens aujourd'hui. La vie chère et l'amenuisement du pouvoir d'achat", a indiqué Anselme Amoussou, secrétaire général de la CSA Bénin, deuxième plus grande organisation syndicale du pays.
Malgré l'interdiction et l'annulation des manifestations ces derniers jours, les syndicalistes ont de nouveau appelé la population à protester samedi contre la hausse des prix dans la capitale économique du Bénin. "Aucun travailleur n'est heureux de descendre dans la rue, ce n'est jamais de gaieté de cœur. Mais dans certaines situations, c'est nécessaire", a justifié M. Segbedji, du syndicat des enseignants.
Pour M. Amoussou, les travailleurs souhaitent le dialogue et le respect des droits syndicaux. "Se demander si une manifestation pacifique va être réprimée est triste pour une démocratie comme le Bénin", déplore-t-il.
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