Aux cris de "Dehors, dehors, occupant" ou "Oui à la souveraineté", une foule de fidèles de Moqtada Sadr, hommes, femmes et enfants parfois venus en bus d'autres régions, se sont rassemblés dans le quartier de Jadriyah, agitant des drapeaux irakiens.
Ce rassemblement est distinct des manifestations antigouvernementales qui avaient perdu un peu de leur élan après l'assassinat par les Etats-Unis, le 3 janvier à Bagdad, du général Qassem Soleimani, émissaire iranien en Irak, qui a entraîné un pic de tensions entre Téhéran et Washington, ennemis jurés mais puissances agissantes en Irak.
Dans un communiqué lu sur une estrade par un porte-parole, Moqtada Sadr a appelé au retrait des forces américaines d'Irak, à l'annulation des accords sécuritaires entre Bagdad et Washington et à la fermeture de l'espace aérien irakien aux avions militaires américains.
Le leader chiite a aussi appelé le président américain Donald Trump à ne pas être "arrogant" face aux responsables irakiens. "Si tout cela est fait, nous traiterons (avec les Etats-Unis) comme avec un pays non-occupant sinon, nous les considérerons comme un pays hostile à l'Irak", a-t-il ajouté.
De nombreux manifestants ont ensuite commencé à se disperser, jetant leurs panneaux dans des poubelles, mais plusieurs milliers sont restés sur place.
- "Retard" -
Plusieurs factions paramilitaires irakiennes comme celles, pro-iraniennes, du Hachd al-Chaabi, habituellement rivales de M. Sadr, avaient soutenu son appel à manifester.
Un des chefs du Hachd, Qaïs al-Khazali, mentor de Sadr avant de devenir son concurrent, a tweeté que "le message du peuple (à Trump) était clair: soit vous partez volontairement, soit vous serez chassé".
Le grand ayatollah Ali Sistani, plus haute autorité chiite en Irak, n'a lui pas explicitement soutenu le rassemblement. Dans son sermon lu vendredi par son représentant il a toutefois souligné le droit des Irakiens à manifester "pacifiquement" pour la souveraineté du pays.
Il a aussi dénoncé le "retard" des partis dans la formation d'un nouveau gouvernement.
Sous la pression de la rue, le Premier ministre Adel Abdel Mahdi a démissionné en décembre mais continue de gérer les affaires courantes, les partis politiques ne parvenant pas à s'entendre sur un successeur.
L'appel de Moqtada Sadr à "une manifestation pacifique d'un million de personnes contre la présence américaine", a fait craindre au camp antipouvoir de voir ses demandes - des élections anticipées, un Premier ministre indépendant et la fin de la corruption - à nouveau éclipsées.
Le mouvement de contestation déclenché le 1er octobre a été relégué au second plan après la mort de Soleimani et le vote deux jours plus tard des députés en faveur du départ des troupes étrangères, dont 5.200 militaires américains déployés pour aider les Irakiens dans la lutte antijihadiste.
Les opérations de la coalition internationale antijihadiste menée par Washington sont à l'arrêt depuis et les discussions avec Bagdad sur l'avenir des troupes américaines n'ont pas encore commencé, selon le coordinateur américain de la coalition, James Jeffrey.
- "Leader de la résistance" -
Le quartier de Jadriyah où se sont rassemblés les pro-Sadr vendredi se situe sur la rive du Tigre opposée à la Zone verte, ultrasécurisée, qui abrite l'ambassade américaine et les principales institutions, et de nombreux responsables irakiens et diplomates craignaient qu'elle ne soit prise d'assaut.
Ses fidèles avaient déjà paralysé le pays en prenant la Zone verte en 2016 pour obtenir des réformes. Aujourd'hui, Moqtada Sadr dirige le plus gros bloc au Parlement et plusieurs de ses alliés occupent des postes ministériels.
Les manifestants antigouvernementaux, qui conspuent toute ingérence étrangère dans les affaires irakiennes, ont relancé leur mouvement ces derniers jours en bloquant de nombreuses routes à Bagdad et dans le sud.
Douze manifestants ont été tués lors de heurts cette semaine avec les forces de l'ordre. Les violences depuis le début de la contestation ont fait plus de 460 morts, en majorité des protestataires, selon des sources sécuritaires et médicales.
Pour Harith Hasan, expert au Carnegie Middle East Centre, Moqtada Sadr tente de jouer sur plusieurs plans en soutenant différentes contestations.
"D'un côté, il tente de se positionner en tant que leader réformiste (...) de l'autre il veut garder son image de leader de la résistance à +l'occupation américaine+" pour gagner les faveurs de l'Iran, explique-t-il.