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Nigeria : à Kano, deux rois pour une seule couronne


L'Emir de Kano, Muhammadu Sanusi II, le 26 février 2017.
L'Emir de Kano, Muhammadu Sanusi II, le 26 février 2017.

La deuxième plus grande ville du Nigeria, Kano, est en proie à de vives tensions depuis que deux figures traditionnelles influentes se disputent le titre d'émir de Kano, une position prestigieuse et politiquement déterminante à l'échelle nationale.

Depuis plusieurs jours, les médias locaux font leur gorges chaudes de ce "Game of Thrones" nigérian qui souligne le poids des institutions traditionnelles dans le jeu politique national du pays le plus peuplé d'Afrique. Les émirs du Nord, région majoritairement musulmane, ainsi que les Obas ou rois et autres chefs traditionnels du Sud, majoritairement chrétien, continuent d'exercer une grande influence au Nigeria.

L'émir de Kano est le deuxième dirigeant islamique le plus haut placé pour les musulmans nigérians, après le sultan de Sokoto. La semaine dernière, le gouverneur de l'État de Kano, Abba Kabir Yusuf, a rétabli l'ancien émir Muhammadu Sanusi II sur le trône, quatre ans après sa destitution par le gouverneur précédent au profit d'Aminu Ado Bayero, lequel avait été destitué jeudi.

Refusant de s'avouer vaincu, M. Bayero continue de se proclamer émir de Kano et s'appuie sur une décision de justice suspendant sa "démission" en attendant une décision judiciaire qui doit intervenir début juin. "J'appelle les autorités à rendre justice, Kano est un Etat très influent au Nigeria, tout ce qui affecte Kano affecte l'ensemble du Nigeria", a déclaré samedi soir M. Bayero.

De son côté, M. Sanusi a emménagé samedi dans le palais où il tient des audiences quotidiennes, à quelques kilomètres de la résidence royale de M. Bayero qui y reçoit ses partisans.

Les deux palais sont gardés par un lourd dispositif militaire et policier. "Muhammadu Sanusi a été injustement évincé par Ganduje", a expliqué à l'AFP Murja Ahmad, femme au foyer de 37 ans, qui dénonce "les intérêts politiques égoïstes" de Ganduje. Si la ville conserve un calme apparent, la fébrilité augmente au fur et à mesure que se rapproche l'échéance judiciaire.

Dimanche, des partisans de M. Bayero ont organisé une manifestation pour dénoncer sa destitution. Quelques heures plus tard, la police a révélé qu'elle avait découvert un "complot" de "mécréants" visant à provoquer des violences dans la ville. Selon Husseini Gumel, le commissaire de police de l'État de Kano, ces fauteurs de troubles ont été envoyés par des hommes politiques moyennant rémunération.

Lutte de pouvoir

En fait, le bras de fer royal entre Sanusi et Bayero est un combat par procuration entre deux anciens gouverneurs de cet Etat. Sanusi a été nommé en 2014 14e émir de Kano par le gouverneur de l'État de Kano de l'époque, Rabiu Musa Kwankwaso, qui était membre du parti d'opposition All Progressives Congress (APC), malgré les pressions exercées par le parti au pouvoir, le People's Democratic Party (PDP), qui préférait un autre candidat.

En 2015, la donne a changé pour Sanusi lorsque Abdullahi Umar Ganduje a succédé à Kwankwaso en tant que gouverneur. Ganduje, qui est l'actuel président national de l'APC (au pouvoir), était le bras droit et le protégé politique de Kwankwaso lorsque Sanusi a été nommé émir, mais les deux se sont brouillés et sont devenus des adversaires politiques.

Sanusi a été détrôné en 2020 pour "manque de respect" et "insubordination" envers le gouvernement de l'État. Les chefs traditionnels au Nigeria n'ont aucun pouvoir constitutionnel mais leur influence sur la société est énorme. Leur patronage peut être déterminant lors des élections.

Ainsi, les gouverneurs ont tout intérêt à avoir des émirs qui leur sont favorables afin de se maintenir au pouvoir. En rappelant Sanusi sur le trône de Kano, le gouverneur Yusuf a consolidé son autorité politique ainsi que celle de son protecteur, Kwankwaso, ainsi que celle de leur nouveau parti, le New Nigeria People's Party (NNPP).

De son côté, Ganduje tient à maintenir Bayero sur le trône pour assurer sa propre influence et celle de son parti, l'APC. Samedi, l'Ulama Council, un groupe de religieux musulmans influents à Kano, a appelé le président Bola Ahmed Tinubu à ne pas plonger la ville dans l'anarchie en prenant parti dans la querelle royale.

"M. le président, en tant que leader de la nation, ne devrait pas permettre que le concours pour un siège royal dégénère en violence", ont déclaré les religieux dans un communiqué.

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