"Le fleuve refoule", explique Thérèse Matete, 45 ans, vendeuse de poissons séchés, en montrant l'étang insalubre parsemé d'innombrables bouteilles en plastique qui s'est formé dans son quartier Pompage, dans la commune de Ngaliema du nord-ouest de la capitale de la République démocratique du Congo.
Normalement, il y a là un pont enjambant un de ces petits cours d'eau transformés en égouts à ciel ouvert, dans une mégapole de plus de 15 millions d'habitants à l'urbanisation galopante. Mais la rivière sortie de son lit ne coule plus, l'eau stagne et le pont est submergé. Pour traverser, il faut emprunter une pirogue ou une embarcation de fortune poussée par de jeunes hommes qui, de l'eau jusqu'à la taille, demandent aux passagers 500 francs congolais chacun (environ 0,2 dollar) pour les emmener à bon port.
Niclette Luzolo, coiffeuse de 32 ans, montre sa maison, juste à côté. L'eau a tout envahi. "Tout est détruit, on n'a plus rien, je dors à l'église avec mes quatre enfants, et les moustiques qui nous piquent", se désole la mère de famille.
Ce n'est pas la première fois que cet endroit est inondé. Mais cette année, c'est pire que jamais, affirment les riverains.
Fin décembre, la Régie des voies fluviales (RVF) de la RDC, établissement public gérant quelque 25.000 km de voies navigables dans l'immense pays d'Afrique centrale, lançait un message d'alerte aux autorités et à la population, les informant d'une crue "exceptionnelle du fleuve Congo et de ses affluents". Le jaugeage du fleuve indiquait alors 5,94 mètres à la station de mesure du port de Kinshasa, s'approchant des 6,26 m enregistrés lors de la grande crue de 1961.
"La main de l'homme"
"Chaque année, de décembre à mi-janvier, il y a crue sur l'ensemble du bassin du Congo", déclare à l'AFP Daniel Lwaboshi, directeur général de la RVF. Une crue "normale" atteint 5 mètres, mais cette fois, les 6 mètres ont été dépassés.
Avec ce niveau, les quais des ports jalonnant le Congo, deuxième fleuve du monde par son débit après l'Amazone, sont sous l'eau. Les bateaux ne peuvent pas accoster, les marchandises ne circulent plus entre la capitale et l'intérieur du pays.
Depuis la fenêtre de son bureau, le directeur montre l'eau arrivée jusque dans la cour de l'entreprise, jonchée de plantes aquatiques charriées par le débordement du fleuve. Un petit crocodile s'est même aventuré là il y a quelques jours.
Selon M. Lwaboshi, plusieurs raisons expliquent cette crue exceptionnelle. Il a beaucoup plu, un phénomène accentué par le changement climatique, dit-il. Mais "la main de l'homme" est aussi responsable.
A cause de la déforestation, "la terre devient dure, l'eau ne s'infiltre plus dans le sol et va se déverser dans le fleuve". Les "constructions anarchiques" sont elles aussi en cause, ajoute le directeur, qui pointe également l'urbanisation de zones inondables.
Non loin de là, la Cité du Fleuve, jadis vantée par ses promoteurs comme le must de l'urbanisme haut de gamme, est inondée. Dans une autre commune, un lotissement de villas encore en construction baigne dans l'eau. "Il y a un grand travail à faire, en termes foncier, social, sanitaire...", estime Daniel Lwaboshi, faute de quoi "les générations futures auront à payer très cher nos erreurs".
Tintin sous l'eau
Le nombre total de sinistrés le long du Congo et de ses affluents n'est pas connu mais se chiffrerait à des centaines de milliers au moins. Le 6 janvier, l'organisation humanitaire Caritas lançait un appel à l'aide pour près de 100.000 ménages à Mbandaka, à environ 600 km de Kinshasa. En amont, à Kisangani, plus de 200 maisons sont sous les eaux dans la commune de Lubunga, selon le bourgmestre.
D'après le DG de la Régie des voies fluviales, l'eau commencera à se retirer vers le 15 janvier, début de la "petite saison sèche", et le fleuve retrouvera son niveau normal d'ici fin février. "C'est à ce moment-là qu'on va constater les dégâts", dit-il.
Dans le quartier Kinsuka, Déborah Zu, gérante du restaurant de bord de fleuve "Chez Tintin", se félicite que son père, fondateur de l'établissement, ait écouté les voisins quand il a acheté sa parcelle en 1977. Ils lui avaient parlé de la crue de 1961 et conseillé de ne pas construire sa maison d'habitation tout près du fleuve.
Pendant toutes ces années, il n'était jamais remonté aussi haut. Mais là, l'eau a envahi la berge, le bâtiment du restaurant et le parking, submergeant jusqu'à la statue de Tintin devant laquelle les clients se prennent habituellement en photo. Cette semaine de début janvier, seule la célèbre houppette émerge des flots.
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