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A l'arrivée en Italie, le défi d'arracher les Nigérianes aux réseaux de prostitution


Mère et son enfant au centre de migration «Baobab» près de la gare Tiburtina à Rome, en Italie, le 14 juin 2015.
Mère et son enfant au centre de migration «Baobab» près de la gare Tiburtina à Rome, en Italie, le 14 juin 2015.

Elles arrivent par centaines chaque mois, le rêve européen plein la tête, alors que beaucoup sont promises à des années d'esclavage sexuel. Mais dans les ports italiens, arracher ces jeunes Nigérianes à leurs trafiquants est un véritable défi.

A chaque débarquement de migrants secourus en mer, c'est le même rituel: un examen médical sommaire, un premier entretien d'identité, des peluches pour les enfants, et... un expert de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) tout particulièrement attentif aux jeunes femmes.

Depuis la fin des années 1980, l'Italie voit en effet arriver de nombreuses Nigérianes attirées par la promesse d'un emploi en Europe mais piégées par une dette colossale à rembourser à leurs passeurs.

Et ces dernières années, le trafic a explosé: selon les données de l'OIM, 433 Nigérianes sont arrivées sur les côtes italiennes en 2013, 1.454 en 2014, 5.653 en 2015, 7.768 au 30 septembre de cette année. Sans compter depuis deux ans des centaines de mineures, parfois âgées de 12-14 ans.

"Entre 70 et 80% d'entre elles risquent d'être forcées de se prostituer" en Italie, en France, en Espagne, en Autriche etc, où la demande est toujours croissante, explique Luca Pianese, expert de l'OIM.

Dans les ports, lui et ses collègues, parmi lesquels deux femmes d'origine nigériane, sont attentifs à plusieurs signes parmi les nouvelles arrivantes: les victimes des réseaux viennent en général de l'Etat d'Edo, dans le sud du Nigéria, elles ont un niveau d'éducation très faible, disent avoir du mal à se souvenir de leur périple...

- 'Briser ce rêve' -

Elles ont un numéro de téléphone à contacter à leur arrivée, mais souvent aussi, un membre du réseau les accompagne. "Il faut donc les séparer des fausses soeurs, des faux maris", explique-t-il.

Vient alors l'étape la plus délicate: "Elles arrivent ici pleines d'espoir, confiantes dans un avenir meilleur. Notre devoir, malheureusement, est de briser ce rêve" en leur expliquant les petites routes de campagne à la périphérie des villes, les 10 à 20 clients quotidiens parfois violents, les passes à moins de 20 euros...

A cela s'ajoute une information plus positive: la législation italienne garantit un titre de séjour et un accompagnement aux victimes des réseaux de prostitution, même si elles n'ont pas encore été exploitées.

Mais selon l'OIM, à peine 300 jeunes femmes ont accepté de l'aide dès leur arrivée entre l'année dernière et les huit premiers mois de cette année.

Ce n'est pas étonnant pour Soeur Monica Chikwe, une religieuse nigériane chargée de coordonner en Italie un vaste réseau de foyers gérés par des communautés religieuses pour les victimes de ces réseaux.

Au Nigeria, "personne ne dit la vérité" et quand on leur parle d'Europe, "les filles ne voient que les paillettes", explique-t-elle.

Pour beaucoup, les abus et les violences ont déjà commencé en route, en particulier en Libye, mais la reconnaissance se mêle encore à la peur vis-à-vis des passeurs qui, malgré tout, ont tenu leur promesse de les conduire en Europe.

- 20 à 50.000 euros à rembourser -

Et celles qui ont des doutes n'ont aucune idée de la violence qui les attend ni de l'énormité de la dette -- le plus souvent entre 20.000 et 50.000 euros -- qu'elles se sont engagées à rembourser.

"Ce sont des sommes bien supérieures à ce qu'ont payé les autres migrants", explique à l'AFP Maurizio Scalia, procureur adjoint à Palerme (Sicile), qui a mené des poursuites après des dénonciations individuelles et cherche désormais à "élever le niveau de l'enquête pour reconstituer l'ensemble du système".

De plus, toutes les victimes sont liées par des rites vaudous parfois cruels réalisés avant le départ et redoutent un mauvais sort ou des représailles contre leur famille si elles ne remboursent pas leur dette.

Aussi la plupart gardent-elles le silence pour suivre le flot vers un centre d'accueil où les trafiquants viendront les chercher. Mais l'OIM leur aura auparavant glissé des numéros de téléphone à appeler à tout moment.

En début de semaine, la police a ainsi pu libérer une jeune Nigériane débarquée le 24 octobre et qui avait appelé à l'aide après s'être retrouvée séquestrée par trois compatriotes exigeant qu'elle se prostitue pour rembourser 30.000 euros.

Au total, le numéro vert mis en place par les autorités italiennes a reçu 150 appels à l'aide de jeunes Nigérianes entre 2015 et juin 2016.

Face à l'urgence, le gouvernement italien a débloqué 15 millions d'euros pour créer des foyers d'accueil. Ils sont déjà tous pleins.

Avec AFP

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