Séoul et Tokyo ont conclu lundi un accord historique pour régler leur contentieux sur les "femmes de réconfort", ces Coréennes enrôlées de force dans les bordels de l'armée nippone pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Cette question empoisonne les relations entre les deux voisins depuis des décennies, ce qui contrarie également Washington qui préférerait voir ses alliés se concentrer ensemble sur la réponse à apporter aux ambitions grandissantes de la Chine dans la région.
Le Japon a offert "des excuses sincères" et un milliard de yens (7,5 millions d'euros) aux quelques dizaines de ces esclaves sexuelles sud-coréennes encore en vie.
Le Premier ministre japonais Shinzo Abe a salué le début d'une "nouvelle ère" entre les deux pays, après une conversation téléphonique avec la présidente sud-coréenne Park Geun-Hye.
"Le système des femmes de réconfort (...) a existé du fait de l'implication de l'armée japonaise (...) et le gouvernement japonais est pleinement conscient de sa responsabilité", a déclaré de son côté aux journalistes le ministre japonais des Affaires étrangères, Fumio Kishida, à l'issue de discussions à Séoul avec son homologue Yun Byung-Se.
Selon M. Kishida, M. Abe a exprimé aux victimes ses "excuses et son repentir, du plus profond de son coeur".
Cet accord sera "définitif et irréversible" si le Japon assume ses responsabilités, a déclaré M. Yun.
Les Etats-Unis ont salué cet accord en faveur duquel ils auraient fait pression. Susan Rice, conseillère à la Sécurité nationale du président Barack Obama, a évoqué "un geste de réconciliation et d'apaisement important, que la communauté internationale devrait accueillir favorablement".
Le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a de son côté félicité le Japon et la Corée du Sud, exprimant l'espoir que cette décision "serve à améliorer la relation entre les deux pays".
De nombreux contentieux -notamment territoriaux- plombent de longue date les relations entre Séoul et Tokyo. Et le sort des 46 "femmes de réconfort" sud-coréennes encore en vie est sans doute le plus sensible en Corée du Sud.
Depuis son arrivée au pouvoir en février 2013, Mme Park a adopté une position intransigeante sur la question. Encore récemment, elle présentait ce différend comme le "plus grand obstacle" à l'amélioration des relations bilatérales.
Accord politique ?
La plupart des historiens estiment que jusqu'à 200.000 femmes, pour la plupart des Coréennes mais aussi des Chinoises, des Indonésiennes et des ressortissantes d'autres pays asiatiques, ont été enrôlées de force dans les bordels de l'armée impériale.
La position du Japon, qui a occupé la Corée de 1910 à 1945, était jusqu'à présent de considérer cette question réglée en 1965 à la faveur de l'accord qui a rétabli les liens diplomatiques entre Tokyo et Séoul.
Le Japon avait reconnu en 1993 sa culpabilité dans l'exploitation de ces femmes. Un fonds avait alors été établi pour leur verser des réparations financières. Toutefois, ce fonds a été financé par des dons privés, non par le gouvernement japonais, au grand dam de Séoul.
Séoul, qui estimait que l'accord de 1965 ne portait pas sur le dédommagement individuel des victimes des crimes de guerre de l'armée impériale, continuait d'exiger un véritable repentir.
L'accord de lundi prévoit que Séoul s'efforce, en coopération avec les associations de victimes, de déplacer une statue symbolisant les souffrances des femmes de réconfort et qui se dresse actuellement en face de l'ambassade du Japon.
"Je suis très heureux de pouvoir annoncer, avant la fin de cette année qui marque le 50e anniversaire de la reprise des relations, la conclusion de négociations difficiles", a dit M. Yun.
En Corée du Sud, les réactions étaient toutefois mitigées à l'annonce de cet accord, certains le jugeant insuffisant.
Yoo Hee-Nam, elle-même contrainte de se prostituer par l'armée japonaise pendant la guerre, a affirmé qu'il n'était pas suffisant mais qu'elle se plierait à la décision du gouvernement.
"Les femmes, qui étaient absentes des négociations, ne doivent pas être oubliées dans cet accord qui sent plus la politique que la justice", a déclaré dans un communiqué Hiroka Shoji, d'Amnesty International.
Selon de nombreux observateurs, la Maison Blanche a fait pression sur Mme Park pour qu'elle adoucisse sa position vis-à-vis de Tokyo.
Et c'est à la faveur de pressions présumées des Etats-Unis qu'elle a accepté début novembre de rencontrer en face à face M. Abe, à l'occasion du premier sommet bilatéral entre les deux dirigeants.
"C'est un accord entre deux gouvernements, pas entre deux sociétés. Toute la question est de savoir si la société sud-coréenne l'acceptera", a mis en garde Kan Kimura, chercheur à l'université japonaise de Kobé.
Avec AFP