Comme pour mieux faire passer le message, un attentat suicide revendiqué par les talibans a fait onze morts près de Kaboul au moment même où la nomination était rendue publique. Le kamikaze a déclenché sa charge à proximité d'un minibus transportant les employés d'un tribunal.
Le mollah Haibatullah a été choisi à l'issue d'une "choura" (conseil central) de trois jours, convoquée dès le lendemain de la mort du mollah Akhtar Mansour, tué dans un tir de drone américain samedi au Pakistan, confirmée par les talibans mercredi.
Les cadres talibans lui ont adjoint deux lieutenants: le mollah Yacoub, fils aîné du mollah Omar, le fondateur du mouvement, et Sirajuddin Haqqani, chef du réseau insurgé du même nom et proche allié des talibans. Tous deux étaient jusqu'ici pressentis comme les favoris à la succession de Mansour.
Haqqani, dont le réseau a commis nombre d'attentats sanglants à Kaboul, hérisse particulièrement Washington qui offre dix millions de dollars à toute personne fournissant des informations qui mèneraient à sa capture.
La désignation rapide du mollah Haibatullah tranche avec la longue période de deux ans durant laquelle les talibans avaient caché la mort du mollah Omar, chef historique des talibans, décédé en 2013 au Pakistan.
Sa désignation a été "unanime et tous les membres (de la choura, NDLR) lui ont fait allégeance", ont assuré les talibans dans un communiqué publié sur internet.
L'étendue réelle de son nouveau rôle reste cependant discutée. Haibatullah "sera davantage un dirigeant symbolique qu'opérationnel", ses adjoints assurant la gestion quotidienne, estime ainsi l'analyste pakistanais Amir Rana.
- 'Aucune légitimité' -
Le mollah Haibatullah, âgé d'environ 50 ans, était lui-même adjoint du mollah Akhtar Mansour. Trois sources talibanes basées au Pakistan ont assuré à l'AFP que Mansour avait désigné Haibatullah pour lui succéder "dans son testament".
Ce natif de Kandahar, berceau des talibans dans le sud de l'Afghanistan, n'a rien d'un foudre de guerre. Dignitaire religieux discret, il officiait comme juge chargé des affaires talibanes à l'époque du régime des fondamentalistes (1996-2001). Peu connu hors des sphères talibanes, il jouit cependant d'une importante influence religieuse.
Il devra s'attacher à unifier un mouvement éparpillé depuis l'annonce de la mort du mollah Omar. "Le mollah Haibatullah a été sélectionné parce qu'il est plus à même d'unifier les talibans que les Haqqanis ou le fils du mollah Omar", note Wahid Muzhda, un analyste afghan.
Car certains cadres talibans ont refusé de faire allégeance au mollah Mansour, dont ils jugeaient la nomination précipitée. D'autres ont fait sécession, à l'image du mollah Rassoul. Le mollah Abdul Manan Niazi, porte-parole de ce dernier, a d'ailleurs indiqué à l'AFP qu'il refusait toute légitimité au mollah Haibatullah. "Il a été choisi par des agents pakistanais lors d'une réunion secrète au Pakistan et n'a de légitimité ni aux yeux des Afghans, ni du point de vue religieux ", a-t-il asséné.
Très vite, le mollah Haibatullah va devoir aussi trancher l'épineuse question de l'opportunité de renouer le dialogue avec le gouvernement afghan.
Sous son prédécesseur, un bref dialogue de paix avait été suspendu sine die l'été dernier, et les efforts de Kaboul pour faire revenir les talibans à la table des négociations ont tous échoué.
Interrogé par l'AFP, Dawa Khan Menapal, un porte-parole du président afghan Ashraf Ghani, a jugé que la désignation d'Haibatullah constituait "une bonne occasion de reprendre les pourparlers".
Et d'avertir les talibans qui refusent de rendre les armes qu'ils "connaîtront le même destin que Mansour".
Mais les observateurs sont très sceptiques quant à la capacité du nouveau chef de relancer le dialogue.
"Le mollah Haibatullah représente le statu quo" par rapport à l'ère du mollah Mansour, estime Rahimatullah Yousafzaï, fin connaisseur pakistanais des talibans. "Il ne négociera pas".
Et pour Amir Rana, l'attentat suicide de mercredi matin est un message signifiant "-Nous sommes toujours là- et nous pouvons nous attendre à de nouveaux attentats dans les prochaines semaines".
"A chaque fois qu'un important chef taliban est capturé ou tué, ils intensifient leur campagne d'insurrection", rappelle-t-il.
Avec AFP