Leur refrain accrocheur, sur une ligne de basse et un rythme entêtants, a résonné dans les cortèges du mouvement né début juin au sein de la jeunesse kényane contre le projet d'augmentation des taxes dans le budget 2024-25, devenu une contestation du président William Ruto et plus généralement de la mauvaise gouvernance et la corruption dans le pays.
Allan "Manazz" Mojo et Tony "Kantel" Otieno ont écrit ce titre il y a environ un an en reprenant un sample de la chanson "Kufa Juu", succès de l'arbantone, style de musique à la mode dans le pays. Cette chanson, dont le titre signifie "suis le mouvement" mais aussi littéralement "tombe avec lui", n'avait aucune tonalité contestataire. A l'origine, "c'est un tube de club", estime Kantel, bagues aux doigts et "twinkles" (bijoux dentaires) argentés aux dents.
Mais dans leur studio de Nairobi, les deux rappeurs de 22 ans originaires du quartier populaire d'Eastleigh, ne boudent pas ce succès inattendu dans la rue et en ligne, avec plus de 5 millions de vues sur YouTube depuis le 3 juillet. "Chacun a sa façon de se l'approprier", ajoute Manazz, lunettes de soleil vissées sur le nez: "Pour certains, c'est une chanson de soirée; pour d'autres, c'est une chanson de manif".
Effet TikTok
Dans l'ambiance festive des premières manifestations, les jeunes de la "Gen Z" ("génération Z" nés après 1991) passaient la chanson sur leurs enceintes portables et en reprenaient la chorégraphie – les bras balancés vers l'avant en se déhanchant vers le sol.
Le titre et cette danse, devenue ensuite un défi sur les réseaux sociaux, ont incarné la joyeuse contestation des premières semaines, à laquelle la police a répondu par des gaz lacrymogènes, des balles en caoutchouc et parfois des balles réelles.
Ça donnait tout simplement une "bonne énergie", raconte Wanjiru Stephens, manifestante de 29 ans : "C'était un moment de joie, (un bon moment) pour vraiment apprécier la chanson". Le titre a également servi de bande-son à près d'un demi-million de publications TikTok, la plupart filmées lors des manifestations.
"Tout ça est dû à TikTok, c'est ce qui a fait exploser la chanson", résume le producteur Samuel Michaka, également âgé de 22 ans: "C'est comme ça que la chanson s'est intégrée aux manifestations". "Disons simplement que 'Anguko Nayo' correspondait parfaitement" à l'air du temps, estime-t-il.
"Nouveau type"
De la chanson "Why Tom ?" de George Ramogi pleurant la mort de l'homme politique Tom Mboya à l'hymne anti-corruption "Nchi ya kitu kidogo" ("le pays des petites choses") d'Eric Wainaina en 2001 en passant par les tubes utilisés durant les campagnes présidentielles, la musique rythme régulièrement la vie politique kényane.
Mais le succès de "Anguka Nayo" est différent, estime Nerima Wako-Ojiwa, qui dirige Siasa Place, organisation prônant l'engagement politique et civique des jeunes.
"'Anguka Nayo' n'est même pas une chanson patriotique", relève-t-elle. "Le fait qu'elle (la chanson) soit liée aux manifestations est intéressant, c'est comme si elle faisait naître un nouveau type de culture", estime-t-elle : "Cette chanson, cette phrase, correspond parfaitement à ce qui se passe".
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