C'est l'une des images des Jeux de Sydney. Au bord de l'épuisement, encouragé par des spectateurs interloqués, Eric Moussambani boucle ses deux longueurs du bassin olympique après 1 min 52 sec 72/100e de calvaire.
Malgré les quolibets, sa technique très frustre (il a nagé sans jamais mettre la tête sous l'eau!) et son chrono bien loin du record de monde de l'époque (48.18), Moussambani, alors âgé de 22 ans, devient l'un des héros de la quinzaine australienne.
Au point d'y gagner un surnom donc ("Eric the eel"), donné par la presse australienne, et de devenir l'incarnation de la devise de Pierre de Coubertin, le rénovateur du mouvement olympique pour qui "l'important est de participer".
"J'ai fait beaucoup de publicités au Japon et en Australie. J'ai voyagé, répondu à de nombreuses invitations des fédérations de plusieurs pays, de nombreuses interviews dans le monde", se rappelle Moussambani dans un entretien à l'AFP.
Son épopée olympique, il ne l'a pas oubliée. En particulier les circonstances qui l'ont conduit à Sydney.
"Je ne savais pas nager" -
"Un jour, un communiqué de la radio nationale dit qu'on avait besoin de nageurs pour la Fédération de natation du pays, le rendez-vous était à l'hôtel Ureca un samedi. J'étais le seul garçon, il y avait une fille aussi, finalement on n'était que deux", raconte-t-il.
"Le président du comité olympique de l'époque, monsieur Fernando Minko, a voulu voir comment on nageait, alors j'ai plongé dans la piscine et j'ai commencé à bouger les pieds. Il nous a dit qu'on irait aux Jeux Olympiques en Australie. C'était à deux ou trois mois de l'ouverture ! Il n'y avait même pas d'entraîneur. J'ai demandé à un monsieur de l'hôtel de pouvoir venir m'entraîner, il a dit d'accord mais de 5 h à 6 h du matin, parce que la piscine était pour les clients", se souvient ce père de quatre enfants.
"Je ne savais pas encore ce que c'était les JO, moi je me réjouissais seulement à l'idée de voyager, je n'avais que ça dans la tête, je ne savais même pas où se trouvait l'Australie", avoue-t-il.
Alors que les stars de la natation préparent le rendez-vous des JO dans le moindre détail pendant quatre ans, Moussambani a improvisé jusqu'au bout.
"Sincèrement, je ne savais pas nager. J'avais bien quelques notions mais rien de plus et aucune expérience pour une telle compétition. Je ne savais pas comment bouger les bras, les pieds, coordonner ma respiration avec les mouvements", avoue-t-il.
"Quand on m'a montré la piscine olympique, je n'en n'avais jamais vu d'aussi grande, je me suis dit: 'sérieusement, je ne peux pas'. Durant mes entraînements à Sydney, je n'ai jamais nagé jusqu'au bout...", rappelle celui qui a débuté la natation à "19-20 ans", après s'être cassé un bras en jouant au basket.
Bermuda d'une friperie
Avant son 100 m d'anthologie, couru seul, un bienfaiteur l'a sauvé.
"Je n'avais pas de tenue de natation, pas de lunettes, la fédération ne m'avait rien donné, j'avais juste un bermuda que je m'étais acheté à la friperie (...) Le jour de la compétition, un entraîneur de l'Afrique du Sud m'a vu avec le bermuda et une serviette: +tu vas être disqualifié, ta tenue n'est pas réglementaire, on dirait que tu vas à la plage+. Alors, il m'a donné un maillot et des lunettes", sourit-il.
S'il n'a pas pu poursuivre son histoire olympique et se rendre à Athènes en 2004 à cause d'une erreur administrative du comité olympique équato-guinéen qui avait égaré sa photo d'identité, Moussambani, employé d'une compagnie pétrolière, n'a pas tourné le dos à la natation.
"Je suis sélectionneur national au sein de la fédération de natation de Guinée équatoriale, je travaille pour que notre pays ait de bon nageurs, en leur apprenant les fondamentaux dès le plus jeune âge. Eux, au moins, ont la possibilité de voir et de s'entraîner dans des piscines olympiques", apprécie-t-il.