Le 5 juillet au soir, plus d'une centaine d'hommes armés ont pris d'assaut la prison de Kuje, dans la banlieue d'Abuja, utilisant des explosifs pour libérer des centaines de détenus – la plupart ont été recapturés peu de temps après –, dont environ 70 jihadistes. La police, qui est toujours à la recherche des évadés, a diffusé des photos des jihadistes qui se sont enfuis lors de l'assaut.
L'attaque de la prison de Kuje représente un "embarras national" avec des implications majeures en matière de sécurité, estime un haut responsable du contre-terrorisme nigérian. Certains des évadés sont des poseurs de bombes et des militants de haut rang, a-t-il précisé. "L'attaque va naturellement les enhardir", a insisté cette source. "C'est un énorme coup de pouce psychologique pour eux".
Car cette attaque n'a pas eu lieu dans une ville isolée du nord-est du Nigeria mais bien à seulement 20 km de l'aéroport international d'Abuja et à 40 km de la villa présidentielle, à des centaines de kilomètres d'où opèrent généralement les groupes jihadistes.
Des analystes voient dans cette attaque un signe de la capacité croissante des jihadistes à menacer des régions autres que leur fief du nord-est, épicentre d'une insurrection qui dure depuis 13 ans et qui a fait 40.000 morts et 2,2 millions de déplacés.
"L'attaque de Kuje, revendiquée par l'Iswap (Etat islamique en Afrique de l'Ouest), représente un échec monumental dans la collecte de renseignements", insiste le cabinet de conseil nigérian SBM Intelligence. L'Iswap "envoie un message clair : ils sont capables de frapper Abuja quand bon leur semble", selon cette source.
"Échec de la sécurité"
Lors d'une brève visite de la prison de Kuje la semaine dernière, le président Muhammadu Buhari a demandé comment une telle attaque avait pu se produire. L'ancien général termine son deuxième mandat sous le feu des critiques en raison des violences quasi-généralisées dans son pays. La sécurité sera un enjeu crucial de l'élection présidentielle de février 2023, à laquelle ne se représente pas M. Buhari.
Le jour de l'attaque de la prison de Kuje, des riverains ont rapporté avoir entendu après 22h de fortes explosions et des coups de feu. "Ils sont arrivés en nombre", a affirmé le porte-parole des services pénitentiaires, Abubakar Umar. Les assaillants ont tiré sur les gardes pendant que d'autres libéraient les détenus et brûlaient des véhicules devant la prison, selon les autorités pénitentiaires. "L'attaque de ce centre correctionnel est symptomatique de l'échec de la sécurité", a déclaré le président du Sénat, Ahmad Lawan.
Abuja "encerclée"
La dernière attaque majeure à Abuja remonte à juin 2014 quand 21 personnes ont perdu la vie après une attaque à la bombe dans un centre commercial. Deux mois plus tôt, une autre attaque à la bombe, cette fois dans une gare routière, avait fait 80 morts.
En 2015, lorsque M. Buhari a été élu président, le groupe jihadiste Boko Haram contrôlait de vastes pans de l'Etat du Borno (nord-est). Mais les troupes nigérianes et tchadiennes ont réussi à repousser Boko Haram jusque dans les forêts. Dans la foulée, l'Iswap avait fait sécession de Boko Haram et les deux factions se sont livrés à des guerres intestines conduisant à la mort l'année dernière du chef de Boko Haram, Abubakar Shekau. Depuis, la menace jihadiste a évolué, affirment analystes et sources sécuritaires.
"Pour la première fois depuis sa formation en 2016, l'Iswap a mené en 2022 des attaques dans les Etats de Taraba (est), de Kogi et du Niger (centre), ainsi qu'à Abuja", souligne le chercheur à l'Institut d'études de sécurité (ISS), Malik Samuel, dans une note.
L'Iswap est le groupe jihadiste dominant dans le nord-est depuis la mort de Shekau. Et pour ne rien arranger, des bandes criminelles lourdement armées – les "bandits" – attaquent fréquemment les villages, kidnappent et tuent de nombreux habitants dans le nord-ouest et le centre du pays.
"Abuja est encerclée par des Etats comme ceux du Niger et de Kogi où il y a eu des évasions et des attaques terroristes", souligne Don Okereke, un analyste et ancien militaire basé à Lagos.