"[Le groupe] Etat islamique n’est pas une armée hautement entraînée. Sa marge de manœuvre se rétrécit beaucoup et ses faiblesses sont révélées au grand jour", confie à VOA Afrique, en ligne de Montréal, Sami Aoun, professeur titulaire à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke. Il est aussi directeur de l'Observatoire sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord.
Cette double offensive soulève-t-elle la question d'une coordination entre Moscou et Washington? "Elle est bien évidente et manifeste, non pas depuis cette semaine mais depuis quelques mois. Il y a de la part de l’administration Obama une forme de sous-traitance pour Moscou et le président Putin pour qu’il gère et administre lui-même la crise syrienne et atteigne un certain compromis politique. Sur ce point, les Américains sont d’accord que la Russie fasse de la pression sur le régime syrien mais aussi sur les Iraniens pour qu’ils modifient leur position assez radicale sur le conflit syrien", répond professeur Aoun, cofondateur de l'Observatoire sur la radicalisation et l'extrémisme violent.
En ce premier jour du Ramadan, des raids contre un marché dans l'est ont causé la mort d'au moins 17 civils, dont la moitié sont des enfants.
La pression s'accroît de jour en jour sur l'EI qui, deux ans après son offensive éclair pour créer un "califat", doit également résister à une offensive d'envergure en Irak, où les forces gouvernementales cherchent à s'emparer de sa place forte de Fallouja.
L'EI, qui compte entre 19 et 25.000 combattants dans les deux pays selon les estimations américaines, fait face à une double opération dans le nord de la Syrie.
Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), les forces du régime avancent vers le sud-est et se trouvent à 30 km de l'aéroport de Tabqa et à 24 km du lac Assad, un large réservoir d'eau dans la vallée de l'Euphrate. Tabqa est situé à une cinquantaine de km à l'ouest de Raqqa, la capitale de facto du califat autoproclamé de l'EI.
De l'autre côté, la coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS) est à 60 km au nord et n'avance plus vers le sud car son objectif prioritaire est la prise de Minbej, une localité stratégique pour les Kurdes.
- 'Coordination "informelle"' -
La concomitance de ces offensives soulève la question d'une coordination entre Moscou et Washington.
"C'est clair qu'il y a une coopération entre la Russie et l'armée américaine. Il leur serait impossible de mener des raids dans la même région sans une coordination", a affirmé lundi à l'AFP une source du régime.
"Il existe, selon lui, depuis plusieurs mois à Bagdad une chambre d'opération militaire commune de lutte contre l'EI regroupant des officiers syriens et irakiens avec la coopération des Russes et des Américains pour coordonner les grandes opérations contre le groupe jihadiste".
Mais pour l'expert Matthew Henman, basé à Londres, cette coordination est jusqu'à présent "informelle".
"Il y a peut-être une sorte de coordination informelle à un haut niveau pour éviter toute confusion et des combats par inadvertance mais il est peu probable qu'il s'agisse d'une coordination pleine et entière", souligne M. Henman, qui dirige le centre de recherche sur le terrorisme et l'insurrection d'IHS Jane's.
La Russie avait subi une rebuffade lorsqu'elle avait proposé aux Etats-Unis de mener des raids conjoints contre le califat proclamé par l'EI en juin 2014.
Les jihadistes de l'EI subissent aussi une offensive de la part des FDS dans la province d'Alep. Après avoir traversé l'Euphrate près de la frontière turque, les combattants kurdo-arabes ont avancé à l'ouest vers Minbej, qui est, selon les experts, bien plus prioritaire pour les FDS que Tabaqa.
Minbej se situe sur l'axe que l'EI utilise pour faire transiter hommes, armes et argent de la frontière turque -- à une trentaine de km plus au nord -- vers Raqqa, la capitale de facto du groupe ultraradical en Syrie.
Le FDS, dominés par les Kurdes, sont parvenus depuis le 31 mai à s'emparer de 42 villages et fermes de la région aux mains des jihadistes et à surveiller le principal axe de ravitaillement des jihadistes entre Minbej et Raqqa.
- Raqa, 'dernier à tomber' -
Cette offensive souligne la complexité du conflit syrien qui a fait plus de 280.000 morts en cinq ans et des millions de déplacés alors que les négociations visant à régler ce conflit sont dans l'impasse.
Les groupes jihadistes n'étaient pas inclus dans l'arrêt des hostilités entre le régime et les rebelles conclu sous la houlette des Etats-Unis et de la Russie en février.
Si les combats pour Tabqa et Minbej sont stratégiquement importants, la reprise de Raqa est plus symbolique car elle marquerait un coup terrible au moral de l'EI.
Pour Matthew Henman, "Raqqa sera certainement l'un des derniers si ce n'est le dernier bastion de l'EI à tomber en Syrie".
"Damas comme les Kurdes veulent être les premiers s'emparer de Raqqa et préféraient ne ne pas voir l'autre partie en prendre le contrôle", dit-il.
Dans un rapport publié ce week-end, le géographe spécialiste de la Syrie Fabrice Balanche souligne que cette offensive "est loin d'être une guerre éclair pouvant conduire rapidement les SDF à l'entrée de Raqqa". "Avant que la coalition n'envisage de lancer une offensive finale sur la ville, elle doit gagner les tribus arabes de la région, dont certaines ont fait allégeance à l'EI".
Avec AFP