L'opposant revendique la victoire de la dernière présidentielle. M. Kamto, "l'homme à abattre pour Yaoundé", pourrait s'ancrer comme le principal challenger de Paul Biya en cas de libération rapide, mais aussi tomber dans l'oubli s'il reste en détention, estime-t-il.
Q: L'arrestation de Maurice Kamto, qui va de pair avec une accentuation de la répression des manifestations politiques, est-elle un signe de durcissement du système Biya vis-a-vis de ses détracteurs?
R: "Yaoundé a franchi un nouveau cap dans la restriction des libertés publiques et semble dorénavant réagir essentiellement par à-coups et instinct de survie.
Même pour un pouvoir structurellement autoritaire comme celui-là, jamais sur les dix dernières années le principal leader de l'opposition n'a été arrêté avec toute son équipe et autant de militants, sans que le pouvoir ait entre ses mains des arguments juridiques valables.
Il s'agit d'une configuration classique de conflit entre légalité (les marches organisées étaient non autorisées, ndlr) et légitimité.
De quelle légitimé peut se prévaloir une loi qui est appliquée de façon grossièrement injuste?
Les marches et meetings de l'opposition ou d'ONG qui ne font pas l'apologie du pouvoir en place sont quasi systématiquement interdites et violemment réprimées, alors que celles du parti au pouvoir et d'associations satellites sont non seulement autorisées et encouragées, mais surtout sponsorisées par les fonds publics.
De fait, cette arrestation est plus cardinale qu'on ne le pense, et les hiérarques du pouvoir qui l'ont ordonnée font plus mal à leur champion que l'inverse.
Le pouvoir est aujourd'hui confronté à un dilemme. S'il garde Maurice Kamto longtemps, cela pourrait plonger le pays dans une conjoncture politique nocive, envenimer davantage les relations entre communautés et, à terme, pousser les radicaux de son parti à des actions violentes à Douala et Yaoundé.
Et si Maurice Kamto est libéré au bout de quelques jours ou semaines, il en sortira auréolé et jouira d'un capital de crédibilité national et international immense.
Q : Maurice Kamto fait-il plus peur à Paul Biya que John Fru Ndi, qui a mené l'opposition durant plus de vingt ans?
R : "Il y a longtemps que le Cameroun n'avait pas eu un opposant de cette envergure. Il a démissionné du gouvernement, fait rare au Cameroun et vécu par le président Paul Biya comme une attitude de défiance personnelle.
Celui que même certains opposants décrivaient comme mollasson à ses débuts se révèle finalement être un véritable entêté politique.
Le fait est que, durant les récentes manifestations et nonobstant le verrouillage sécuritaire, Maurice Kamto a été capable de mobiliser le même jour à Yaoundé, Douala et dans cinq villes de la région de l'Ouest.
C'est quelque chose qu'on n'avait pas observé au Cameroun depuis février 2008 (lors d'émeutes urbaines qui avaient fait des dizaines de morts).
Le Social Democratic Front (SDF, le parti de John Fru Ndi, ndlr)), de sa création en 1990 aux années 2000, incarnait véritablement l'opposition, en menant d'importants combats pour la justice sociale au Cameroun. Mais ses leaders se sont avec le temps peu ou prou rapprochés de l'orbite du pouvoir, faisant même des arrangements avec le parti au pouvoir lors des élections sénatoriales en 2013.
Avec Maurice Kamto, l'opposition retrouve une certaine contenance et virulence: il conteste la légitimité de Paul Biya comme président, refuse de se voir appliquer des lois iniques et refuse que le rôle de l'opposition soit réduit au +temps électoral+.
Dans la configuration politique camerounaise d'aujourd'hui, Maurice Kamto est un homme à abattre."
Q : Pourquoi, comme ce fut le cas dans d'autres pays d'Afrique par le passé, la communauté internationale n'a-t-elle pas réagi à l'arrestation du principal opposant?
R : "Le président Paul Biya a toujours eu une attitude rusée: il fait profil bas, n'a jamais défié ouvertement les Occidentaux et continue de leur accorder des parts de marché importantes dans l'économie camerounaise, malgré la pénétration de la Chine.
Cela a toujours fait de lui le +bon diable+ ou le moindre mal dont pouvait s'accommoder la communauté internationale.
Lorsque les Occidentaux regardent dans la sous-région, leur réflexe immédiat est de penser qu'il y a pire que Paul Biya.
Au fond, les Occidentaux comme les Camerounais vivent dans le mythe qu'après Biya, cela pourrait être pire. Et donc, ils le tolèrent."
Avec AFP