Des bâtisses ocres aux élégantes façades un peu usées, des ponts juchés sur un canal arboré: l’université de Ouagadougou offre un tableau paisible dans un pays en crise. C’est ici, dans l'amphithéâtre Khadafi, dirigeant libyen déboulonné par l’intervention française de 2012 qui avait propagé les groupes armés jihadistes dans le Sahel, qu’Emmanuel Macron avait en 2017 prononcé un discours "historique" devant la jeunesse burkinabè.
À l’époque, Pema Neya, était encore étudiant. Ce leader d’un mouvement de jeunesse se souvient parfaitement de ce moment. "On l’a vu comme le discours de quelqu’un qui voulait prêcher du nouveau", dit-il. Depuis, les groupes jihadistes ont encore gagné du terrain, et la diplomatie française est plus que jamais dans le viseur.
Encouragé par une nébuleuse de mouvements de jeunesse, le régime du capitaine Ibrahim Traoré arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en septembre 2022, a obtenu le départ de l’ambassadeur de France et celui des forces spéciales de Sabre. Samedi, le drapeau français a été replié en catimini dans l’enceinte du camp de Kamboinsin, où était basée la force Sabre, après quinze années de présence.
Pendant ce temps-là, les attaques jihadistes se multiplient et le Burkina Faso compte ses morts. Mais dans la capitale, la guerre paraît encore loin et la sécurité demeure, après deux coups d’État en huit mois.
Lors du dernier en septembre 2022, les images de l’attaque de l’ambassade de France et de manifestants brandissant des drapeaux russes ont fait la une. Pourtant, le Burkina Faso accueille une importante communauté française et à Ouagadougou, on ne perçoit pas de trace d’hostilité à son égard.
Les griefs à l’encontre de l’ex-puissance coloniale sont certes nombreux et partagés à divers degrés: refus de reconnaître les crimes de la colonisation, arrogance, soutien à des régimes honnis. Mais la perspective d’un divorce complet ne séduit guère.
"Rien à cirer des Russes"
"Les dirigeants français, pour mobiliser leurs opinions publiques, parlent de sentiment anti-français en Afrique. Ce n’est pas juste", estime Pema Neya. "Les Français sont des amis, des frères, ils sont très bien accueillis. Beaucoup sont là, dans nos quartiers, ils vivent les mêmes réalités, ils comprennent ce qu’on dit !" mais "les jeunes ne supportent plus cette politique française condescendante et paternaliste".
"Moi, je critique la politique française, mais je n’en ai rien à cirer des Russes et il y a plein de gens comme moi en Afrique", ajoute-t-il.
L'analyste burkinabè Mahamoudou Sawadogo partage cette opinion: "C’est la politique française qui est décriée, mais pas les Français. L’attitude résignée de la France va peut-être calmer les choses".
Dans un contexte de mobilisation contre les groupes jihadistes, les voix nuancées se font toutefois discrètes. "Il y a une majorité silencieuse qui n’a pas forcément la possibilité de s’exprimer", souligne l’expert en relations internationales Oumarou Paul Koalaga. "Quand vous parcourez les réseaux sociaux, les médias, il y a confrontation d’idées et tout le monde n’est pas dans l’optique d’une rupture totale et brutale avec la France. Malheureusement, ces personnes ne sont pas celles qu’on entend".
La minorité bruyante, elle, se satisfait d’une première victoire – le départ des soldats français – et fait bloc derrière le régime.
"L’impossible est devenu possible", se réjouit Lassané Sawadogo, leader du Front pour la défense de la patri (FDS), l’un des mouvements pro-régime qui organisent des manifestations régulières où fleurissent les drapeaux russes. "Je demande aux Français de comprendre que nous n’avons pas de problèmes avec eux, même le président Emmanuel Macron on ne le déteste pas, mais on déteste ce système que ses ancêtres nous ont imposé et dont il est la continuité", assure-t-il.
Un "système" accusé d’être à l’origine de la plupart des maux du pays, à grand renforts de théories complotistes qui suscitent encore une large adhésion au sein de la population.
"Ces mouvements nous mettent mal à l’aise, les jeunes qui les suivent sont en majorité des analphabètes: dès qu’on les critique, ils nous accusent d’être pro-français", s’inquiète un responsable de la société civile, pourtant favorable au régime, sous couvert d’anonymat.
Selon Oumarou Paul Koalaga, "le régime a besoin de l’adhésion d’une certaine opinion, mais dans les faits, il ne veut pas aller plus loin" et la "coopération" avec Paris "continue".
Lassané Sawadogo, lui, ne baisse pas la garde: "Les Africains ont compris que l’indépendance ça ne se négocie pas, ça s’arrache. Et malheur à Macron s’il n’a pas compris ça et que toute l’Afrique se révolte (...) Ça peut tourner mal".