"Je suis gênée lorsque les gens posent leur regard sur moi", confie cette commerçante de Yaoundé, qui ne veut pas livrer son identité. Une lésion au visage qui s'est aggravée en cinq mois l'a amenée au centre médical d'Elig Essono. On lui a diagnostiqué un carcinome, l'un des cancers de la peau les plus fréquents.
Pour Annette, une étudiante de 20 ans, l'utilisation de plusieurs laits de toilette blanchissants n'a heureusement provoqué pour l'heure que des dartres, une desquamation de l'épiderme, mais aussi des brûlures. "Sous un grand soleil, mon visage chauffait et j'ai dû arrêter", se lamente-t-elle.
"White now", "Super white", "Rapid'clair" : dans les rayons, ces produits sont reconnaissables aux femmes au teint clair illustrant les emballages. D'après la Société camerounaise de dermatologie (Socaderm), près de 30% des habitants de Douala, la capitale économique, et un quart des jeunes femmes scolarisées à Yaoundé en utilisaient en 2019.
Cancérigène
La plupart n'ont jamais été scientifiquement testés et contiennent des niveaux dangereux de substances inhibant la production de mélanine, le pigment produit par l'exposition au soleil. Notamment l'hydroquinone, interdite depuis 2001 dans l'Union européenne en raison de son potentiel cancérigène et mutagène.
Selon une étude de la Faculté de médecine de Yaoundé I en 2019, l'hydroquinone était le composant le plus utilisé dans les produits blanchissants au Cameroun.
"Des patients se plaignant de symptômes liés à la dépigmentation de la peau, on en rencontre tous les jours", confirme le Dr Alain Patrice Meledie Ndjong, dermatologue à l'hôpital général de Douala, qui évoque un "problème de santé publique".
Ces produits "sont couramment utilisés dans de nombreux pays d'Afrique, d'Asie et des Caraïbes", "aussi bien par les femmes que par les hommes", mais "également chez les habitants à peau sombre d'Europe et d'Amérique du Nord", s'alarmait en novembre 2019 l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), notamment à propos du "mercure, un ingrédient dangereux souvent présent dans les crèmes et savons destinés à éclaircir la peau".
Outre les pathologies de l'épiderme, certaines de ces substances, ingérées, peuvent provoquer diabète, obésité, hypertension ou insuffisance rénale ou hépatique, avertit le Dr Ndjong, évoquant également les conséquences psychologiques : "l'anxiété et la dépression".
Alors pourquoi risquer de s'infliger de telle souffrances ? Certaines femmes considèrent qu'elle gagnent en beauté et en attrait en s'éclaircissant la peau et "publicités et marketing renforcent ce préjugé", selon l'OMS.
Le sociologue Achille Pinghane Yonta, de l'Université de Yaoundé, assène une analyse plus brutale: "il y a une tendance" enracinée "dans nos consciences à vouloir ressembler" aux populations occidentales. "C'est une pratique très ancienne. Il est même dit, dans certaines contrées de chez nous, que la dot d'une femme claire de peau est plus élevée que celle de la femme plus sombre".
"J’avais constaté que les hommes étaient plus attirés par les femmes à la peau claire et j'en ai eu la confirmation quand je me suis blanchi la peau, je n’avais jamais été autant sollicitée", assure Pascaline Mbida, sans emploi, qui a cessé dès qu'elle a été sensibilisée aux risques pour sa santé.
Problème mondial
Le coût a aussi freiné son enthousiasme: elle consacrait chaque mois 30.000 francs CFA (45 euros) à ces produits, soit presque le salaire mensuel minimum légal au Cameroun, de 36.270 FCFA (55 euros).
Le 19 août, le ministère de la Santé a interdit l'importation, la fabrication et la distribution des produits cosmétiques et d'hygiène corporelle contenant des substances telles que l'hydroquinone, le mercure ou les corticoïdes.
Un décret émis après une polémique visant la députée de l'opposition Nourane Fotsing qui dirige une entreprise commercialisant des produits blanchissants, ciblée par de nombreux messages vindicatifs sur les réseaux sociaux s'indignant qu'une élue puisse promouvoir la dépigmentation de la peau. Une polémique très médiatisée qui, selon son parti, n'était pas dénuée d'arrière-pensées politiques.
Depuis, les saisies se multiplient sur les marchés, au grand dam des acteurs de la filière qui dénoncent des confiscations sans distinction.
"Les quantités de produits que nous découvrons chaque jour dans des descentes sont énormes", assure Clavère Nken, du ministère de la Santé.
Selon les statistiques nationales, le marché des cosmétiques et d'hygiène corporelle au Cameroun est en croissance annuelle de 7% et avait atteint 380 milliards de francs CFA en 2020 (environ 580 millions d'euros). "Le secteur des produits de blanchissement de la peau connaît l'une des plus fortes croissances au monde dans l'industrie cosmétique et devrait peser près de 31,2 milliards de dollars d'ici à 2024", s'inquiétait déjà l'OMS en novembre 2019.
Depuis l'interdiction, un marché noir s'est développé au Cameroun, notamment en ligne, et se procurer les produits interdits reste facile.