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Au camp du Courneau en France, un siècle pour tirer de l'oubli les tirailleurs africains


Leur destin tragique se résumait, jusque-là, à la simple mention de leur nombre: "940". Les noms des tirailleurs d'Afrique de la Première guerre mondiale décédés, loin du front, au camp militaire du Courneau dans le sud-ouest de la France, sortent enfin de l'oubli.

Mali, Sénégal, Guinée, Côte d'Ivoire, Burkina-Faso, Bénin, Niger, Mauritanie, Madagascar... Il y a cent ans, en avril 1916, les autorités militaires françaises ouvraient à La Teste-de-Buch, près d'Arcachon sur la côte atlantique, un "camp d'hivernage" pour acclimater à la rigueur du climat européen les soldats africains.

Il fallait aussi enseigner à ces nouvelles recrues venues de loin les rudiments militaires et organiser le repos de ceux qui étaient déjà passés par le front. Un camp identique existait dans le Var (sud).

Environ 70.000 tirailleurs transitent ainsi entre avril 1916 et septembre 1917 par les 400 baraquements construits à la va-vite "en carton bitumé".

Mais la caserne, édifiée sur une zone marécageuse et soumise à une forte humidité, se révèle vite être un mouroir. Les soldats, parfois déjà contaminés dans les camps d'enrôlement, y sont victimes de maladies respiratoires, de pneumonies fulgurantes. Véritable cauchemar sanitaire, la zone est baptisée "le camp de la misère".

Pire, face à cette mortalité inquiétante, les soldats africains font l'objet d'expérimentations de vaccins lancées dans la précipitation par le ministère de la Défense et l'Institut Pasteur, comme le révèle Serge Simon, auteur du documentaire "Une pensée du Courneau" réalisé en 2011.

- Polémique sur les conditions sanitaires -

Au total, près d'un millier de tirailleurs décèdent au camp, loin de tout combat. La polémique sur leur sort enflamme jusqu'à la chambre des députés. Blaise Diagne (1872-1934), premier député africain à l'Assemblée nationale, réclame la fermeture du camp dès décembre 1916. Elle est votée par le Sénat en 1917.

"Jusqu'à l'ouverture d'un hôpital en août 1916 sur le camp, les tirailleurs malades étaient soignés à Arcachon ou La Teste et inhumés dans ces deux communes. Par la suite, il seront enterrés sur place", raconte Jean-Pierre Caule, 76 ans, membre de la société historique d'Arcachon et du Pays de Buch, qui s'intéresse au Courneau depuis quinze ans.

Lorsqu'en 1928 le camp est rasé, les dépouilles des soldats africains sont regroupées dans une fosse commune au lieu-dit Le Natus. Peu à peu, le site, perdu au milieu des pins, tombe en déshérence.

Ce sont les anciens combattants de La Teste-de-Buch qui, à la fin des années 1950, tirent de l'oubli ce lieu, eux "qui ne supportaient plus de savoir leur frères d'armes ensevelis dans une fosse commune, sépulture anonyme surmontée d'une pierre indigne de leur sacrifice", comme l'a souligné en août 2013 l'ex-ministre des Anciens combattants, Kader Arif, lors d'un hommage au camp du Courneau.

Cet hommage avait eu lieu à l'occasion de la "Journée du tirailleur sénégalais" instaurée en 2004 par l'ex-président sénégalais Abdoulaye Wade. Depuis cette date, c'est une journée de commémoration annuelle au Sénégal.

- '940 Sénégalais morts pour la France' -

Il a fallu attendre 1965 pour qu'une stèle soit finalement érigée au camp du Courneau, avec une plaque de marbre à la formulation approximative mentionnant les "940 Sénégalais morts pour la France", en réalité plus nombreux et d'origines diverses. La "nécropole du Natus" est honorée chaque année le 11 novembre par les associations d'anciens combattants et par l'Union des travailleurs sénégalais de Gironde.

Mais si l'outrage de l'oubli est réparé, celui de l'anonymat subsiste. Depuis quelques années, des historiens locaux, aidés par le service des archives de La Teste et le ministère des Anciens combattants, se sont attelés à un minutieux travail d'identification à partir de divers registres.

"A ce jour, entre 956 et 958 noms ont été identifiés", explique Jean-Pierre Caule, qui possède aussi une collection d'une centaine de cartes postales montrant le camp du Courneau et ses occupants.

Pour éviter les erreurs de graphie et les inversions entre noms et prénoms, des Sénégalais de Bordeaux se sont impliqués dans le projet. "Ce sont aussi nos héros à nous. Nous aussi, nous avons été des vainqueurs", témoigne Abdoulaye Ndiaye, un expert aéronautique installé en Gironde depuis 1993, qui a découvert le site il y a un an.

"J'ai été frappé qu'on ne connaisse pas les noms de tous ces soldats", explique-t-il. Le travail avec Jean-Pierre Caule ? "Ca m'a enrichi. Ca nous apprend notre histoire".

"C'est un souvenir qui se construit en commun", se réjouit pour sa part M. Caule.

Depuis 2014, sur le site labellisé "Centenaire 14-18", un panneau provisoire a été installé, où sont inscrits les centaines de noms répertoriés.

En attendant qu'un monument définitif ne soit érigé, d'ici 2018, pour faire retrouver leur "identité" et leur "dignité", selon les mots du ministre, à ce "millier d'hommes perdu dans ce repli de notre histoire".

Avec AFP

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