En formation, 160 femmes en bleu de travail, bob sur la tête, traversent d'un pas cadencé la cour de la Chrysalis Academy. L'établissement du Cap veut offrir un avenir aux jeunes de quartiers gangrénés par les gangs, cachés derrière les paysages idylliques de la ville touristique à la pointe de l'Afrique du Sud.
Au fond de la cour en briques, deux jeunes femmes lancent un salut militaire, disent une prière et hissent le drapeau national. Siphokuhle Kapa, 23 ans, apprécie ce rituel austère, qui l'aide à se concentrer sur l'idée de discipline.
"Ça a changé qui je suis, dit-elle à l'AFP, parce que je suis arrivée ici brisée". "J'avais l'impression que ma vie n'allait nulle part. Ici, je participe à tout", dans un cadre strict et défini, "ça me change", dit-elle, sans en révéler davantage.
Les internes ici viennent de quartiers miséreux, plombés par un chômage massif et une criminalité omniprésente. Au Cap, plages idylliques et paysages de rêve cachent mal cette réalité sordide. En 2021, le nombre d'homicides dans la ville portuaire était le plus fort d'Afrique du Sud avec 64 meurtres pour 100.000 habitants, contre 37 à Johannesburg. A titre de comparaison, ce taux est de 5,5 à New York, seulement 1,2 à Paris.
Cette violence est liée à l'activité de nombreux gangs, auxquels Gibson Jannecke était déterminé à échapper. "J'ai évité la drogue, je n'ai pas de liens avec les gangs, mais ils ont marqué ma vie", confie le jeune homme de Macassar, près de l'immense township de Khayelitsha.
"Je ne pouvais pas marcher à l'école sans être agressé, pas sortir sans que mes parents s'inquiètent d'une éventuelle balle perdue", confie-t-il. Arrivé en stage à Chrysalis en 2011, il y enseigne aujourd'hui.
L'académie, dont le nom signifie chrysalide, moment de transition entre larve et papillon, vise bien à donner des ailes à ces jeunes à l'horizon bouché. Epaulée par les autorités locales, elle s'est installée il y a une vingtaine d'années dans une banlieue agréable du Cap, juste en face de la redoutable Pollsmoor Prison, où certains des criminels les plus endurcis du pays purgent de longues peines.
Ni visites, ni portables
Chrysalis propose des formations sur trois mois pour les 18-25 ans des quartiers, en rupture scolaire et sans projet. Sa directrice Lucille Meyer y encourage des pratiques permettant de "renforcer la résilience" et "distancier les traumatismes".
"Lorsque les jeunes arrivent ici, nous ne les regardons pas comme des toxicos ou des pauvres, mais comme des êtres humains, qui ont traversé des choses difficiles. On veut les aider à libérer leur potentiel", dit-elle à l'AFP.
Lever à 4H30 du matin, coucher à 21H30, les horaires ici n'ont rien de fantaisiste. Les cours développent la forme physique, la rigueur, le bien-être psychologique et les compétences.
Téléphones portables, drogues et cigarettes sont interdits. En raison du Covid, les visites ne sont pas autorisées. Les étudiants peuvent appeler leurs proches quelques fois pendant le séjour et leur écrire. Des séances de thérapie sont disponibles pour qui veut. Les cours intensifs se déroulent en plusieurs phases, d'abord des ateliers visant la maîtrise personnelle, le leadership. Ensuite, deux semaines en pleine nature puis une journée d'isolement et de jeûne sur le campus.
Enfin, quatre semaines de préparation à un métier: initiation à la cuisine, au secourisme, aux métiers de la police, avant d'être placés pendant un an pour un premier emploi. Zenande Hambiso veut rejoindre les forces de l'ordre. Elle vient de Kraiifontein, point chaud réputé pour sa violence. L'arrivée à Chrysalis a été rude pourtant.
"Se lever en pleine nuit, j'ai eu du mal, avant de m'habituer. Et partager une piaule avec d'autres comme moi, aussi. Maintenant on s'entend bien", raconte la jeune femme de 24 ans. "Un jour, j'aimerais aider les femmes victimes d'abus", dit-elle. "Des femmes sont violées, tuées, tous les jours. Je voudrais faire quelque chose pour assainir l'endroit d'où je viens".