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Au Kenya, des fabriques à désinformer avant la présidentielle


"Le matin est le meilleur moment pour poster, juste avant que les gens arrivent au bureau (...) parce que la première chose qu'ils font est de se connecter pour voir quelles sont les tendances", explique un influencer kenyan.
"Le matin est le meilleur moment pour poster, juste avant que les gens arrivent au bureau (...) parce que la première chose qu'ils font est de se connecter pour voir quelles sont les tendances", explique un influencer kenyan.

Dans un banal bureau du nord de la capitale kényane Nairobi, Ian James Mwai ne lâche pas ses deux téléphones portables: il ne veut pas manquer une occasion de promouvoir sur les réseaux sociaux le parti pour lequel il travaille.

A 23 ans, le jeune homme fait partie des influenceurs qui, de plus en plus nombreux, offrent leurs services aux candidats pour peser sur l'élection présidentielle du 9 août. "Cette élection va se jouer à pas grand-chose", assure Ian James Mwai à l'AFP: "Un homme politique qui choisirait d'ignorer les réseaux sociaux serait un imbécile".

Au Kenya, la moitié des 50 millions d'habitants a moins de 35 ans, et 12 millions de Kényans utilisent les réseaux sociaux. Des influenceurs proposent donc aux hommes politiques de diffuser leurs idées, répondre aux critiques ou même lancer des rumeurs sur leurs adversaires. Créer et faire monter un hashtag est facturé 400 euros par jour. Surtout, les soldats du web offrent à leurs clients une chose qui n'a pas de prix: l'absence de responsabilité.

"Il y a tellement d'équipes et de gens (sur les réseaux sociaux) que vous ne pouvez pas contrôler ce qu'ils publient", poursuit Mwai. Il ne souhaite pas préciser pour qui lui et les 70 influenceurs qu'il chapeaute roulent, mais "mon équipe (travaille avec) éthique", assure-t-il.

A lui seul, Mwai compte 110.000 abonnés sur Twitter, dont il connaît les habitudes. "Le matin est le meilleur moment pour poster, juste avant que les gens arrivent au bureau (...) parce que la première chose qu'ils font est de se connecter pour voir quelles sont les tendances", explique-t-il.

"Instrumentaliser les tendances"

Le détournement des réseaux sociaux a été épinglé dans de précédents scrutins dans ce grand pays d'Afrique de l'Est. Des médias anglais ont ainsi révélé que la société britannique Cambridge Analytica – qui a utilisé les données personnelles de millions d'utilisateurs de Facebook pour faire de la communication ciblée – a joué un rôle important dans les campagnes de 2013 et 2017, remportées par l'actuel président Uhuru Kenyatta.

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En 2022, les influenceurs locaux sont au coeur du jeu. Avec leurs centaines de milliers d'abonnés, leurs pages Facebook et comptes Twitter sont devenus des mines d'or. D'une simple recherche, l'AFP a recensé des centaines de pages Facebook utilisant les noms des deux principaux candidats à la présidentielle: l'actuel vice-président William Ruto et le vétéran Raila Odinga.

"Les gens instrumentalisent les tendances afin de diffuser de la fausse information", explique Alphonse Shiundu, de l'organisation de fact-checking Africa Check, en soulignant "le recrutement actif de soldats en ligne pour répandre des messages politiques".

Raila Odinga s'est retrouvé plongé dans une controverse sur Twitter après qu'un hashtag #RailaStateProject a affirmé que cet opposant historique, désormais soutenu par le président sortant Kenyatta, poursuivrait la politique du pouvoir en place.

Son adversaire a été visé par un autre hastag, #hungryruto, le présentant comme le bénéficiaire supposé de scandales de corruption atteignant plusieurs milliards de dollars.Sur les réseaux sociaux des deux camps, on trouve également des faux sondages ou des images trafiquées ou détournées d'immenses foules rassemblées pour des meetings électoraux.

"Mercenaires"

"A partir du moment où (les influenceurs) ont cultivé leur audience en ligne, ils la monétisent: cela signifie qu'ils poussent des contenus pour quiconque peut payer", affirme Alphonse Shiundu. Ils profitent également du manque d'application des lois réprimant la désinformation et les discours de haine.

Dans un communiqué commun publié en avril, six organisations de la société civile ont alerté sur la menace que fait peser la désinformation dans le pays, qui a été à plusieurs reprises le théâtre de violences en période électorale. "Nous sommes inquiets que les influenceurs sur les réseaux sociaux soient devenus des mercenaires qui fabriquent de la désinformation et du discours haineux", écrivent-elles.

Plus de 1.100 personnes sont mortes au Kenya lors des violences post-électorales interethniques de 2007-2008. Dix ans plus tard, en 2017, des dizaines d'autres ont été tuées dans de nouvelles violences. Les influenceurs affirment, eux, n'avoir d'autre choix que de défendre pied à pied leur candidat.

Mac Otani, un consultant numérique travaillant pour le parti de Raila Odinga, explique à l'AFP que lorsque qu'une rumeur se répand, il doit réagir rapidement pour s'assurer que leurs partisans reçoivent le "bon message". Cela fait partie du jeu, confirme Ian James Mwai. "Nous sommes prêts pour le tollé qui vient avec. Nous sommes prêts pour cette énergie négative", ajoute-t-il: "Nous sommes toujours prêts."

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