La semaine dernière dans les rues de la capitale Lilongwe, c'est une marée Malawi présidentiellehumaine qui s'est pressée autour du chef de l'opposition Lazarus Chakwera pour fêter la décision de la Cour suprême d'appel de confirmer l'annulation pour fraudes de la réélection de Peter Mutharika en 2019.
La veille, ils étaient déjà des milliers, à Blantyre cette fois, pour escorter en rangs serrés le président sortant venu déposer sa candidature au scrutin du 2 juillet devant la Commission électorale locale (MEC).
Et c'est comme ça tous les jours. Réunions publiques, caravanes publicitaires ou porte-à-porte, la frénésie électorale bat son plein dans tout le pays, comme si la pandémie n'existait pas.
"Bien sûr que c'est important de se protéger du Covid-19", approuve Jacqueline Banda, une fidèle de Peter Mutharika. "Mais ce pays est en crise et nous devons gagner cette élection. Et la seule façon d'y parvenir, c'est de nous mobiliser en masse pour le président".
"Est-ce que le coronavirus a vraiment atteint le Malawi ? J'en doute", affirme de son côté Thoko Namitowa, qui porte les couleurs de l'opposition.
"Si c'était le cas, il y aurait des morts partout", poursuit-elle. "Je crois que le gouvernement grossit les chiffres pour faire dérailler l'élection. Alors je continue à aller aux meetings, car je sais qu'au Malawi le coronavirus est très politique..."
Effectivement, si la pandémie a suscité chez la plupart de ses voisins des réflexes d'union sacrée, elle nourrit au Malawi des empoignades très partisanes.
- Virus politique -
Le confinement voulu par le chef de l'Etat a ainsi été bloqué avant même son entrée en vigueur par la justice, saisie par une ONG proche de l'opposition, au motif qu'il n'était accompagné d'aucune aide aux plus démunis.
Furieux, M. Mutharika a plaidé que "ceux qui nient l'existence du coronavirus doivent être enfermés à l'asile" et averti les juges qu'ils porteraient la responsabilité d'un désastre sanitaire.
Dans ce climat de tensions, l'interdiction des rassemblements publics de plus de 100 personnes ont vite volé en éclats.
Le ministre de la Santé Jappie Mhango s'en est ému, en mettant les deux camps dans le même sac de l'inconscience coupable.
"Si les chefs eux-mêmes ne sont pas capables de respecter la distanciation sociale, qui va bien pouvoir expliquer aux gens que cette pandémie est grave ?", s'est-il offusqué. "On ne peut pas envoyer les gens à la mort simplement parce qu'on veut gagner une élection !"
"On a vu tous ces grands rassemblements", soupire lui aussi le secrétaire général de son ministère, Dan Namarika, "ils réduisent à néant tous nos efforts..."
Comme le reste de l'Afrique, le Malawi s'en est jusque-là plutôt bien sorti. Seuls 63 cas d'infection, dont 3 mortels. Mais le risque de voir la pandémie s'aggraver reste bien réel.
"Le gros problème avec cette maladie, c'est que son caractère dramatique ne se révèle qu'une fois qu'il est trop tard", note le virologue Gama Bandawe, de l'université du Malawi.
- Mauvais exemple -
"Il est possible qu'on ne réalise son impact réel que lorsqu'on verra les croque-morts et les enterrements de masse. J'espère que ce ne sera pas le cas, mais il est clair qu'on en prend le chemin en continuant à agir comme ça".
Mais le politologue Michael Jana n'imagine guère les candidats revenir à la raison sanitaire.
"Si les hommes politiques peuvent violer les règles de prévention à leur guise, les gens vont les imiter", redoute le professeur de l'université du Witwatersrand à Johannesburg (Afrique du Sud), "on ne peut plus faire campagne comme avant, la situation est grave".
Pas au point, semble-t-il, de faire renoncer les états-majors à leurs kermesses électorales.
Contacté par l'AFP, Griezelder Jeffrey, le secrétaire général du parti du président, le Parti démocratique progressiste (DPP) a refusé tout commentaire sur la question.
Et son homologue du Parti du congrès du Malawi (MCP), Eisenhower Mkaka, est resté inflexible. "Le gouvernement a adopté des mesures contre le Covid-19 mais il est le premier à les violer", a-t-il argué, "comment peut-il croire que les autres vont les respecter ?"
Tant pis pour la lutte contre la pandémie et pour la santé des populations, donc.
"Plus personne n'a confiance en son gouvernement", regrette un acteur de la société civile, Muthi Nhlema, "et comme les gens ne croient plus que ce qu'on leur dit est vrai, ils vont se retrouver seuls face au danger".