Martha Chizuma a été nommée "médiatrice" de l'Etat, par les députés, fin 2015 pour un mandat de cinq ans, renouvelable une seule fois. Deuxième femme à occuper ce poste, à 36 ans à l'époque, autant dire que peu au gouvernement du président Peter Mutharika lui ont alors prêté attention.
"Il y a eu des moments où ceux sur qui j'enquêtais me regardaient de haut à cause de mon âge et de mon sexe", se souvient aujourd'hui la magistrate, amusée.
"Maintenant, j'ai dépassé tout ça. A tel point que quand je suis confrontée à ce type de personnes, je suis plutôt désolée pour elles", s'empresse-t-elle d'ajouter, "leur attitude prouve qu'elles n'ont rien d'autre à offrir que leur sectarisme".
Ses investigations tous azimuts ont fait de sa fonction le fer de lance du combat contre la corruption qui gangrène son petit pays pauvre d'Afrique australe et, aussi, contre l'impunité dont continuent à largement bénéficier ceux qui le dirigent.
"J'ai toujours pensé que la mauvaise administration et l'impunité constituaient les fondations des systèmes corrompus", dit-elle.
La longue liste des dossiers que Mme Chizuma a ouverts n'a fait que conforter son opinion. Du directeur de ministère au médecin hospitalier, aucun n'a échappé à ses foudres.
- Excuses publiques -
Plus tôt cette année, la médiatrice s'est heurtée de front au gouvernement du président Mutharika.
L'affaire dite du "tractorgate" a fait grand bruit. Un prêt indien de 50 millions de dollars utilisé par le ministère de l'Agriculture pour acheter des machines agricoles si vétustes qu'elles ont finalement été revendues à perte à une brochette d'élus ou d'hommes d'affaires proches du régime.
Après enquête, Martha Chizuma a publié un rapport au vitriol dénonçant ce gaspillage des fonds publics et recommandant des poursuites contre ses responsables.
La justice n'a pour l'heure pas suivi, mais la médiatrice a déjà obtenu de rares excuses publiques du ministère de l'Agriculture.
La presse a évoqué les "pressions" exercées par le pouvoir sur la magistrate. "On m'a dit (...) que certains me suivaient pour s'en prendre à moi", confie la médiatrice, séparée et mère de trois enfants, "mais la dernière chose que je ferais serait de trahir ma conscience".
Son courage et son indépendance sont largement salués.
"C'est presqu'une croisade contre les abus de l'Etat qu'elle a lancée", se réjouit le journaliste d'investigation Golden Matonga.
Toujours à l'affût des travers du régime, le chef de l'opposition Lazarus Chakwera est dithyrambique. "Son mandat (...) restera dans l'histoire comme un éclair d'intégrité dans le ciel sombre de la corruption", s'enflamme-t-il.
- Fierté -
Principale cible du combat livré par la médiatrice, le pouvoir, lui, réprime difficilement un certain agacement.
"Le gouvernement attend de ceux qui occupent la fonction de médiateur (...) qu'ils soient objectifs, sensés, mûrs et non pas impulsifs ou qu'ils profitent de leur position pour flatter leurs égos ou satisfaire leurs intérêts personnels", égratigne, sibyllin, le ministre de l'Information Mark Botoman.
Ses anciens collègues magistrats ou juristes louent quant à eux sa rigueur et son efficacité.
"Son travail améliore le bon fonctionnement des institutions en répondant directement aux attentes des Malawites", juge la secrétaire honoraire de l'Association des juristes, Martha Kaukonde. "La plupart des Malawites n'ont pas les moyens financiers de s'opposer aux institutions", souligne-t-elle.
"Je suis très fière (...) d'avoir réussi à ouvrir mon institution à tous les Malawites et à élargir le champ de ses investigations", abonde la médiatrice.
Au secteur de la santé notamment. En août, un de ses rapports a épinglé la faillite du système de santé du pays en établissant que la négligence et le manque de soins avaient provoqué 160 hystérectomies inutiles entre janvier et juillet 2018.
Plusieurs médecins ont depuis été sanctionnés par leur conseil de l'ordre sur la base de ses conclusions. Et un médiateur spécialisé dans les questions de santé a même été nommé.
"Il nous reste encore beaucoup à faire pour qu'il soit pleinement efficace (...) mais je dors beaucoup mieux maintenant", reconnaît Martha Chizuma. "Chaque fois que je réussis à utiliser le droit pour apporter la justice à ceux qui sont maltraités par l'administration, je suis vraiment très fière."