"J'inhale beaucoup de poussière avec les travaux de construction", explique à l'AFP cette femme de ménage d'Akute, un quartier populaire de la capitale économique du Nigeria. "Je fréquente une église près d'une décharge et la puanteur est (...) dommageable pour la santé publique".
Bolatito Joseph n'est pas la seule à ressentir les effets de la pollution. Qu'il s'agisse de Lagos (sud-ouest), de la ville pétrolière Port-Harcourt ou d'Onitsha, carrefour commercial du sud-est, de plus en plus de gens se demandent si l'air est respirable au Nigeria. Mais personne n'a vraiment de réponse.
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Les générateurs diesel, qui compensent un réseau électrique déficient, crachent en permanence des halos de fumée âcre dans le ciel, tout comme les millions de véhicules qui embouteillent les routes. L'absence de règlementations strictes dans l'industrie en général et la combustion des déchets à l'air libre n'arrangent rien, dans le pays le plus peuplé d'Afrique, qui compte près de 180 millions d'habitants.
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estimait en 2012 que la pollution de l'air était le "plus grand risque environnemental pour la santé", responsable d'environ sept millions de décès prématurés dans le monde.
Des efforts de lutte contre la pollution ont été menés dans certaines mégalopoles asiatiques comme Pékin et New Delhi, où la mauvaise qualité de l'air peut entraîner des restrictions de la circulation et des fermetures d'écoles.
Mais au Nigeria, où il existe très peu de données officielles, le grand public reste dans l'ignorance, avec seulement une poignée d'études scientifiques menées sur la question.
La pollution de l'air, jugée en partie responsable de l'augmentation des accidents cardio-vasculaires, des maladies respiratoires et des cancers, a fait plus de 46.000 morts au Nigeria en 2012 selon l'OMS.
A Lagos, ville tentaculaire de 20 millions d'habitants où flotte en permanence une odeur d'essence liée au trafic, la plupart des décharges sont entourées de quartiers résidentiels et de bidonvilles directement exposés aux fumées toxiques.
Onitsha, dans l'Etat d'Anambra, détient le record de la ville la plus polluée aux particules fines dans le monde, avec un niveau de PM10 trente fois supérieur aux recommandations de l'OMS.
- Sensibilisation -
Quant à Port-Harcourt - jadis surnommée la "Cité jardin" pour ses palmiers et ses espaces verts -, cela fait plus d'un an que d'étranges particules de suie noires recouvrent les trottoirs de la ville.
Malgré les explications officielles affirmant que le phénomène est lié à l'arrivée de l'Harmattan - vent du désert - en saison sèche, beaucoup pointent la responsabilité des innombrables raffineries clandestines dans la région pétrolière du delta du Niger. Ces unités installées dans les mangroves opèrent surtout la nuit, pour transformer du pétrole brut volé.
Rafael Navarro, un Vénézuélien travaillant pour une grosse compagnie pétrolière de la place, s'est procuré un appareil permettant de mesurer avec précision la qualité de l'air.
"Port Harcourt a été à de nombreuses reprises dans le top 5 des villes les plus polluées du monde sur le réseau AirVisual", une entreprise française en pointe, affirme M. Navarro. "C'était assez choquant, je n'imaginais pas que nos statistiques puissent être si mauvaises".
Les enregistrements de l'appareil qu'il a installé en mai l'année dernière, montrent durant la nuit et au petit matin d'intenses pics de particules fines PM 2.5, particulièrement nocives pour la santé.
Pour Ademola Oduguwa, un ingénieur en électronique basé à Lagos, la sensibilisation aux dangers de la pollution atmosphérique est essentielle. Il a développé une version "à bas coûts" d'appareils de mesure, à 120 dollars, soit deux fois moins cher que celui utilisé par M. Navarro.
Il en a installé quatre à Lagos : "Partout, des niveaux de pollution très élevés ont été enregistrés", souligne l'ingénieur, qui espère désormais commercialiser son appareil.
A Port-Harcourt, des militants pro-environnement ont défilé la semaine dernière pour demander au gouvernement de l'Etat de Rivers de publier des informations quotidiennes sur la qualité de l'air et de nettoyer la ville.
"Nous n'allons pas baisser les bras et laisser le gouvernement répandre des choses qui nous empoisonnent", affirme Tunde Bello, du mouvement #StopTheSoot (Arrêtez la suie).
Ako Amadi, un autre défenseur de l'environnement, dénonce le manque de volonté politique, alors que les niveaux de pollution devraient être accessibles "de la même manière que les températures".
"Dès qu'on s'inquiète de l'impact environnemental de tel ou tel projet, on est considéré comme un +ennemi du progrès+", dit-il avec amertume.
Avec AFP